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lle constitue sans doute une fatalité essentielle de l’amour passion. Comme en lui c’est du désir seul qu’il s’agit, souvent éprouvé en solitude, et non pas d’une attention véritable portée à l’autre, il est compréhensible que ce dernier puisse ne pas répondre à l’intérêt qu’on prétend lui porter.
Il y a donc une très fréquente unilatéralité du désir. Mieux, plus il insiste, plus l’autre est appelé à se dérober. Les femmes, dit Musset, sont comme notre ombre : plus nous les poursuivons, plus elles nous fuient ; et plus nous les fuyons, plus elles nous poursuivent. Ainsi chacun suit qui le fuit, et fuit qui le suit.
Peut-être ne pas aimer est-il le plus sûr moyen d’être aimé. Peut-être est-on plus près d’aimer qui ne nous aime pas, que qui nous aime trop. C’est comme quand on doit une certaine somme à quelqu’un. Tant qu’on pense pouvoir la rembourser, on se fait un scrupule et un point d’honneur de le faire. Mais quand cette somme devient si importante qu’on ne pense pas pouvoir un jour s’en acquitter, on se croit dispensé d’honorer sa dette. C’est paradoxal mais cela est. Nous tombons dans l’ingratitude à proportion que croît l’amour que l’on nous porte. Jamais, pensons-nous, nous ne pourrons le rendre. Alors nous n’y pensons plus…
On connaît en tout cas la « chaîne » d’Andromaque (la pièce de Racine) : Oreste aime Hermione qui ne l’aime pas ; Hermione aime Pyrrhus qui ne l’aime pas ; Pyrrhus aime Andromaque qui ne l’aime pas ; Andromaque aime Hector qui est mort. C’est même là l’image tragique de toute condition humaine. En vérité, dans le monde passionnel pas plus qu’ailleurs, il n’y a pas, comme on l’a déjà vu, d’harmonie préétablie.
C’est pourquoi chacun souffre et fait souffrir, et cela même sans le vouloir. La pire forme de la cruauté c’est non seulement la non-réponse au désir qu’on nous porte, mais aussi l’indifférence aux souffrances que, ce faisant, l’on cause...
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Ce texte est tiré de la dernière édition de mon ouvrage Savoir aimer - Entre rêve et réalité. En voici la présentation dans la quatrième de couverture :
Aimer au sens humain du mot n'est pas quelque chose de spontané. Cela s'apprend tout au long de la vie, et par une réflexion à quoi ce livre veut contribuer.
Il ne défend aucune vision normative de l'amour. Il traite d'abord de l'amour-passion, qui se nourrit de désir et de rêves. Puis de l'amour-compassion, qui affronte le réel. Ensuite, il met en lumière les dangers qui guettent l'un et l'autre : l'oubli d'autrui pour le premier, le sacrifice de soi pour le second. La dernière partie montre ce que pourrait être un bon usage de l'amour, exempt de ces deux dangers, et triomphant de la prose de l'existence au moyen de l'humour.
Pour feuilleter le début de l'ouvrage, cliquer ci-dessous sur : Lire un extrait. Pour le commander sur le site de l'éditeur, cliquer sur : Vers la librairie BoD.
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