Il survient quand un peuple jusque là soudé par une croyance collective régresse à l’état de foule atomisée, confiant son destin à la force d’un seul chef, qui dispense les citoyens de toute réflexion posée. Les exemples en sont innombrables, à commencer par ce qui vient de se passer aux États-Unis, lors des élections du mi-mandat présidentiel. On a vu que si le parti démocrate défendait des valeurs (dont la démocratie) le parti républicain ne défendait que des intérêts. Il ne prenait en compte que l’inflation, le pouvoir d’achat, le prix de l’essence, etc. Et il était prêt à résigner sa liberté entre les mains d’un homme providentiel qui le déchargerait de ce fardeau. La démocratie lui importait peu, et le système qu’il appelait de ses vœux était de type féodal, ou clientéliste.
Tout cela a été modélisé dans une essentielle fable de La Fontaine, « Le Loup et le Chien » : le second ne demande qu’à être nourri, même s’il est esclave, tandis que le premier préfère risquer de mourir de faim, mais au moins en jouissant de sa liberté. Il refuse le bien-être au nom de valeurs qui le dépassent, le bonheur sans honneur. Bien sûr cette position est inconfortable, et on le voit bien avec l’actuel conflit ukrainien : la liberté a un prix, elle n’est pas gratuite, freedom is not free.
On peut rappeler aussi l’épisode évangélique de la Tentation de Jésus au désert. La liberté y apparaît essentielle, par rapport par exemple au désir d’être nourri : comme disait déjà le Lévitique, l’homme ne vit pas seulement de pain. Et par rapport aussi au désir d’être ébloui par des miracles, qui sont à l’époque l’équivalent de nos fake news aujourd’hui.
C’est sans doute en pensant à ce texte essentiel que Dostoïevski a écrit sa parabole du Grand Inquisiteur, dans Les Frères Karamazov : revenu sur terre, Jésus est à nouveau condamné à mort, car il a éveillé les gens à une liberté qu’ils ne peuvent pas assumer.
La bipolarisation de la vie politique qu’on voit aux États-Unis est extrêmement inquiétante. Elle fait s’affronter les citoyens sans aucun dialogue. Et chez nous aussi cette tendance existe. Le complotisme se répand, avec la diabolisation de l’adversaire. Si on n’y prend garde, le tribalisme n’est pas loin, et avec lui l’ochlocratie, ou gouvernement de la populace. L’anarchie qui survient alors fait toujours le lit, en réaction, de l’homme fort et des régimes autoritaires.
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