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ictime, au sens étymologique du latin, immolée dans un but de propitiation sur l’autel du sacrifice pour apaiser (placare) un Dieu par conséquent courroucé, selon la Messe catholique en latin, elle vient d’être victime maintenant d’un autre Dieu, celui de l’économie : victime de la flambée du prix du blé et de la farine, de la demande en baisse pour sa consommation, et de la concurrence d’entreprises laïques étrangères industriellement plus performantes. C’est ce dont se plaignent les bonnes sœurs de Lourdes, traditionnellement jusqu’ici dévolues à sa fabrication (Source : LeFigaro.fr, 21/02/2013).
On pourrait leur suggérer d’employer une autre matière première que le blé pour cette opération, ce qui la rendrait moins onéreuse. Pensons à la fameuse Querelle des rites, qui agita à la fin du 17e siècle les différents ordres missionnaires chargés de l’évangélisation en pays lointains. Pourquoi garder le pain en des contrées qui l’ignoraient ? N’aurait-on pas pu faire des hosties au moyen de riz, par exemple ? Mais Rome fut inflexible sur le sujet.
À date récente encore, dans les Instructions pour dire la Messe (Ordo Missae, Imprimerie du Vatican, 1965, en latin), il est bien spécifié que si l’hostie n’est pas faite à partir de blé pur, de même d’ailleurs que si le vin n’est pas de bonne qualité (« piqué » par exemple), la consécration n’est pas valable, le sacrement n’est pas accompli : non conficitur sacramentum (pp.59-62).
La matière et les paroles rituelles sont plus essentielles que la personnalité de l’officiant : si celui-ci a prononcé les bonnes paroles avec l’intention de s’en moquer (delusorie), ou s’il est en état de péché mortel, pourvu que matière première, rite et paroles soient bien observés, valable est le sacrement (conficitur sacramentum) – même si, bien sûr, « le prêtre pèche gravement » (ibid., p.63). C’est apparemment la moindre des choses !
Lorsque les Donatistes à l’inverse ont prétendu que le sacrement était invalidé par l’indignité personnelle de celui qui l’administrait, ils ont été violemment attaqués par Augustin, et décrétés hérétiques.
Ce matérialisme et ce littéralisme ecclésiaux sont à très courte vue. C’est par pur hasard géographique que l’Évangile a choisi le pain pour signifier le corps du Christ, et pour désigner la nourriture quotidienne dans le Notre Père. Les habitudes alimentaires changent selon les pays, et il ne faut voir là que symboles. Sinon, quelle publicité là serait faite à la corporation boulangère ! Quelle écoute aurait eu leur lobbying !
« La lettre tue, et l’esprit vivifie », dit justement l’Apôtre (2 Corinthiens 3/6). Qu’importe donc la matière ! L’essentiel est ce qu’on y voit. Voilà de quoi peut-être, en leur permettant de modifier un peu leur « cahier des charges », consoler les bonnes sœurs de Lourdes !
Article paru dans Golias Hebdo, 14 mars 2013
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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