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a représentation de Dieu sous forme d’un vieillard barbu, dans le film Persepolis de Marjane Satrapi, a choqué beaucoup de musulmans.
Ils sont donc partisans du bris des images, ce que veut dire le mot d’origine grecque « iconoclasme » : ce refus des images est conforme à l’interdit présent déjà dans la Bible juive (Exode 20/4), et le monde musulman a été jusqu’à prohiber non seulement celles de Dieu, mais aussi celles représentant le Prophète lui-même.
Le christianisme, lui, au moins dans ses modalités orthodoxe et catholique, n’a pas pratiqué ce refus. Certes il y a bien eu à Byzance la fameuse Iconomachie, ou bataille pour les images, où la pulsion iconoclaste encore s’est fait jour. Mais enfin elle a été vaincue, tout simplement parce qu’avait été affirmée comme article de dogme l’incarnation de Dieu, en la personne du Christ-Messie. Si donc Dieu a pris la forme d’un homme, par abaissement ou kénose (Philippiens 2/7), il a semblé normal de le représenter.
Cependant le monde orthodoxe s’en est tenu à ne représenter que le Fils, tandis que le monde catholique n’a pas hésité à représenter le Père, et le vieillard barbu du film vient naturellement, semble-t-il, de la représentation que Michel-Ange en a faite au plafond de la Chapelle Sixtine. Face à ce déluge d’images sans frein ni limite, favorisé par la Contre-réforme post-tridentine, le monde protestant, lui, a toujours défendu l’iconoclasme des origines.
Il reste dans l’iconoclasme la croyance que l’image recèle effectivement son sujet. C’est une croyance naïve, d’essence magique, et d’ailleurs image est l’anagramme de magie.
Un peu de réflexion pourtant montre que l’image, comme tout langage d’ailleurs, n’est qu’une représentation, et que représenter n’est pas reproduire. Les signes tiennent lieu de la chose, mais en aucun cas ils ne la contiennent ou recèlent. L’image d’un chien ne mord pas, pas plus que le mot « chien ». « Fleur », disait Mallarmé, est « l’absente de tous bouquets ».
L’adhérence du signe à la chose repose sur un malentendu, qu’on appelle l’illusion référentielle, et que les Nominalistes médiévaux avaient déjà dénoncé contre les anciens Réalistes. Mais ce réflexe archaïque d’assimilation perdure encore, et, comme dans l’exemple dont je suis parti, on le voit encore constamment ressurgir en pleine modernité.
[v. Blasphème]
Article paru dans Golias Hebdo, 3 novembre 2011
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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