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ertains disent que le tremblement de terre qui vient de frapper Haïti est le signe d’une malédiction dont cette île serait victime.
Bien sûr il faut faire la part du sensationnalisme journalistique, qui utilise souvent des grands mots de ce type. Mais je pense qu’il est bon de prendre ce mot au pied de la lettre, à commencer par son sens originaire, qui est théologique.
Quel péché l’île expie-t-elle, pout être ainsi frappée par Dieu au point d’en être maudite ? D’où vient ce vieux réflexe qui nous fait dire encore, quand nous sommes frappés d’un malheur : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela ? »
C’est la base la théologie dite rétributive : si tu es malheureux, c’est de ta faute, tu l’as mérité en quelque façon. Voyez le double sens de notre mot misérable, qui fait frémir : malheureux, et méchant. Ce même réflexe archaïque a joué à propos de la tempête qui a l’an dernier ravagé les Landes. [v. Karma]
Si le Premier Testament parle encore en son début de malédictions posées par Dieu, en manière de châtiment, sur plusieurs générations humaines, il met en question cette notion d’abord avec le livre de Job, où la justice de Dieu (théodicée) est contestée, et ensuite avec le prophète Jérémie.
L’Évangile chrétien ignore quant à lui la rétribution. À ceux qui lui posent la question, à propos d’un aveugle : « Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? », Jésus répond : « Ni lui ni ses parents n’ont péché. » (Jean 9/2-3) Il n’y a pas ici de responsabilité individuelle, pas plus que de responsabilité de type karmique imputable aux ascendants.
Il en est de même pour la malédiction. Des formules évangéliques très fréquentes du type : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! » (Matthieu 23/13), etc., ne sont pas en réalité des malédictions, mais simplement des constatations d’un malheur. Le mot grec ouai, calqué en latin par vae, équivaut en réalité à quelque chose comme : « Aïe ! Aïe ! Aïe ! » La TOB traduit bien par : « Malheureux êtes-vous, etc. » On pourrait dire aussi : « Pauvres de vous, etc. »
On voit ici l’importance de la traduction qu’on pratique, et qu’on a pu vivre des siècles durant sur l’impression ici d’un texte agressif, dont les conséquences historiques ont pu être tragiques : vingt siècles d’hostilités et de persécutions, causées d’abord par l’antijudaïsme chrétien ancien, et poursuivies ensuite dans l’époque moderne.
Petites causes, grands effets ! Souvenons-nous de ce que disait Montaigne : « La plupart des causes de trouble du monde sont grammairiennes. » On meurt, ou on fait mourir, pour des mots.
Article paru dans Golias Hebdo, 4 février 2010
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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