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lle me semble affecter le discours non seulement de l’homme de la rue, mais aussi des personnages les plus haut placés.
Voici par exemple ce qu’a déclaré à Rome, devant les plus grands patrons de presse d’Italie, le cardinal Gianfranco Ravasi, en quelque sorte le ministre de la culture du pape : « Jésus a été la première personne à tweeter, avec des phrases essentielles et comprenant moins de 45 caractères comme : ‘Aimez-vous les uns les autres’. »
Le prélat a aussi évoqué les paraboles de Jésus qui, « à l’instar de la télévision aujourd’hui, transmettait un message en passant par une histoire, un symbole ». « Si un ecclésiastique, un pasteur ne s’intéresse pas à la communication, il se place hors de son ministère », a résumé le cardinal (Source : A.F.P., 25/09/2013).
Est-il rien de plus superficiel, de plus démagogique aussi, que de telles phrases ? J’ai déjà souligné, à plusieurs reprises, que ce n’est pas la forme, mais le contenu d’un quelconque message qui compte. On ne peut pas mettre le « Aimez-vous les uns les autres » au même rang que tel ou tel slogan publicitaire. Car derrière le premier il y a toute une pensée et une grande expérience de vie, tandis que le second n’est que forme vide, à répéter tout à fait machinalement comme un mantra, pour pousser les gens à acheter sans réfléchir.
La brièveté n’est rien si elle ne recouvre aucune substance, comme dans la plupart des tweets. Ni le « Je pense donc je suis » de Descartes, ni un haïku, ne sont des tweets, malgré ce que dit le linguiste Alain Rey, qu’on a connu plus inspiré.
Quant à l’éloge des paraboles évangéliques mises au rang du racontage des histoires, du storytelling qu’on voit fleurir partout, de la presse people à la mise en scène d’eux-mêmes que font nos politiques, il est extraordinairement léger. Celles-là visent à faire réfléchir, tandis que celui-ci n’a d’autre but qu’émouvoir à peu de frais. Les premières désaliènent, les secondes aliènent.
Il est vrai qu’on peut conduire les hommes en leur racontant des histoires. On prend les hommes comme les lapins, par les oreilles. Mais de cette thaumaturgie facile Jésus n’a pas voulu, comme il se voit par exemple quand il refuse l’éblouissement par le miracle dans l’épisode évangélique de sa tentation au désert. Entraîner par emballement irréfléchi n’était pas son but, il voulait des compagnons, et non des suiveurs ou des followers comme dit encore démagogiquement l’Église. [v. Suivisme]
Enfin ce mot de « communication » que vante le prélat n’est qu’un euphémisme d’aujourd’hui pour désigner la publicité, ou la propagande (on disait naguère : la réclame).
À flirter ainsi avec les mœurs et le langage modernes, et à faire systématiquement du jeunisme, je ne vois pas ce que l’Église peut gagner.
Article paru dans Golias Hebdo, 10 octobre 2013
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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