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es centaines d’hommes pieds nus se sont flagellés, et une dizaine ont été cloués sur des croix lors des cérémonies du Vendredi saint dans les Philippines, en témoignage sanglant de leur foi (Source : AFP, 19/04/2019).
C’est un spectacle répété tous les ans, ostensiblement gore, où l’Église locale voit avec suspicion des « tendances pharisaïques », sans nier toutefois que « la crucifixion et la mort de Jésus ont sauvé l’humanité de l’effet de ses péchés » (même source).
C’est bien là qu’est le problème à mon sens. Depuis Paul, le créateur du christianisme majoritaire, la Passion et la mort de Jésus ont une valeur expiatoire et rédemptrice, que répètent à l’envi plusieurs textes néotestamentaires, malgré les efforts des théologiens libéraux pour ne pas en tenir compte ou pour les biaiser, ou même les interpréter au rebours de ce qu’ils disent. Cette euphémisation d’un sacrifice, pourtant marque objective d’un échec, est comme un tour de passe-passe, qui transforme, comme dit l’Apôtre invoquant la « Parole de la Croix », une « folie » en « sagesse ». C’est un scénario entièrement païen, renvoyant aux cultes à mystères antiques (Adonis, Osiris, Mithra, etc.), où un Dieu meurt et ressuscite pour le salut de ses fidèles. Pour les Juifs et les Musulmans ce christianisme-là est un paganisme.
Quand Platon a été bouleversé par la mort de Socrate, il ne l’a pas euphémisée par une construction mythologique à contenu résurrectionnel. Il s’est contenté de transmettre l’enseignement de son Maître. D’autres versions du christianisme ont existé qui ont fait de même, comme le gnosticisme. Mais malheureusement elles ne sont pas majoritaires. Encore aujourd’hui quand on touche du bois, ou qu’on croise les doigts pour se porter chance, ou simplement quand on porte en bijou une petite croix, on fait référence implicitement à la Croix salvatrice paulinienne.
Je sais bien que dans ce scénario fortement émotionnel certains trouvent consolation et espoir, même si je ne vois pas bien de quelle culpabilité il est nécessaire pour eux d’obtenir un rachat. Mais que penser de vouloir le mimer et le mettre en scène ?
Cette tendance est de tout temps et de tous lieux, depuis les Flagellants chrétiens médiévaux jusqu’aux fidèles de l’islam chiite qui tous les ans à Kerbala en Irak commémorent par des actes d’auto-flagellation le martyre de l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet.
Mais la foi, quelle qu’elle soit, a-t-elle besoin pour se prouver et conforter de s’extérioriser en manifestations visibles ? Souvenons-nous de la parole de Jésus à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui croient sans voir. » (Jean, 20/29)
[v. Barbarie]
Article paru dans Golias Hebdo, 9 mai 2019
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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