Dans le monde païen elle est considérée comme un état provisoire, et celle qui ne peut connaître ce qui doit normalement la suivre (la maternité) donne l’image d’un tragique gaspillage. Voyez comment Lucrèce caractérise Iphigénie, qui va être sacrifiée : laissée vierge criminellement (casta inceste). Vie fauchée dans sa fleur, destin inadmissible...
Mais le christianisme au contraire célèbre la virginité et la valorise dans la figure de Marie, la mère de Jésus. On vient de la fêter à l’occasion du 15 août, à grand renfort de processions, en Belgique et ailleurs. Qu’en penser ?
D’abord cette quasi divinisation d’une vierge vient sans doute d’un contresens sur la prophétie d’Isaïe 7/14. Le texte initial hébreu dit que le Messie-Sauveur sera engendré par une jeune femme nubile et non mariée (almah). Mais la Septante a traduit en grec : par une vierge (parthenos). Toute la dogmatique chrétienne sur la virginité de Marie peut venir de ce contresens des soixante et dix rabbins d’Alexandrie, que certains ont dit avoir été inspirés par le Saint Esprit à cette occasion ! A quoi tiennent les choses...
La construction mariale à pu se faire à partir de là. On y a disjoint maternité et sexualité. Je ne sais si les esprits aujourd’hui peuvent faire cette disjonction. Sans doute vient-elle d’un fantasme masculin : combien d’hommes encore, surtout dans les pays latins, sacralisent la figure de la mère, et n’imaginent pas qu’elle ait pu avoir une quelconque vie sexuelle ! Sans doute aussi est-elle un moyen de refuser à la femme, sous couvert de la valoriser, une part importante de sa vie. Si cette séparation s’effaçait, le culte marial n’aurait que la dimension d’un retour au féminin païen, à la Grande Mère (Magna Mater), où l’on célèbre fécondité et maternité, la virginité étant oubliée. C’est peut-être cette tendance qu’on voit dans les processions d’aujourd’hui.
Pourtant je sens dans la valorisation de la virginité quelque chose d’important du point de vue symbolique. Nous pouvons y voir que les exigences du corps ne sont pas la seule instance à laquelle nous sommes promis et devons obéir. L’âme aussi peut l’envelopper et le recouvrir, l’outrepasser à certains instants du moins qu’il serait dommage d’oublier. C’est la part, certes momentanée et épisodique, mais toujours possible en nous de Marie ouverte à l’Esprit, et dont le destin est de pas connaître d’homme (Luc 1/34).
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