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e récent procès du cardinal Barbarin à Lyon, à propos des affaires de pédophile qui ébranlent l’Église, m’amène à faire quelques remarques.
D’abord le cardinal a expliqué sa passivité en disant : « Quand je ne sais pas quoi faire, je me tourne vers Rome. » Autrement dit, il s’abrite derrière une autorité supérieure pour éluder sa propre responsabilité. Cet aveu d’impuissance est quand même étonnant, de la part d’un « cardinal-archevêque-de-Lyon-primat-des-Gaules » !
Enfin et surtout la réponse du Vatican est édifiante. Ordre a été donné au cardinal de « prescrire toutes les mesures disciplinaires adéquates tout en évitant le scandale public. » C’est cette hantise du scandale qui me semble le nœud de la question, et constituer une plaie béante au cœur de ce grand corps qu’est l’Église.
Cette obsession relativement à ce qui se passerait si les choses venaient à se savoir n’est évidemment pas nouvelle.
Ainsi j’ai entre les mains un opuscule, Ordo missae, imprimé en 1965 au Vatican, en latin, contenant les instructions pour la bonne tenue de la messe. On y lit que quelques anomalies qui se passent dans la célébration, comme l’oubli par le prêtre des paroles sacramentelles, la disparition de l’hostie (envolée du fait du vent ou avalée par un animal quelconque), etc., l’essentiel est que l’assistance ne s’en aperçoive pas. Toutes choses doivent se faire en évitant, autant que faire se peut, le scandale ou l’étonnement des fidèles – Omnia fiant vitando, quantum fieri potest, fidelium scandalum vel admirationem (p.60). J’aime bien ce « autant que faire se peut ». Il est chargé d’un humour bien involontaire. [v. Hostie]
Cette culture du secret est sans doute propre à toutes les administrations. Certains disent qu’elle est inévitable pour éviter la fragilisation des Institutions et la perte de confiance des assujettis.
Je pense ici à la parabole « Devant la Loi » qui clôt Le Procès de Kafka. Aux doutes de Joseph K. sur le bien-fondé de l’interdiction faite par le gardien de la Loi de franchir la porte qui mène à cette dernière, le prêtre répond : « Douter de la dignité du gardien, ce serait douter de la Loi ». Et il ajoute : « On n’est pas obligé de croire vrai tout ce qu’il dit, il suffit qu’on le tienne pour nécessaire. » À quoi finalement K. répond : « Triste opinion… elle élèverait le mensonge à la hauteur d’une règle du monde. »
Je suis de son avis. Évoquer le « scandale » comme argument de défense est hypocrite et inadmissible, la vérité passant avant tout. Et comme dit Brecht dans La Vie de Galilée : « On épuise la confiance à trop exiger d’elle. »
Article paru dans Golias Hebdo, 24 janvier 2019
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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