Cet élément de mobilier urbain a tout pour attirer la sympathie. Il permet le repos du marcheur fatigué, l’observation rêveuse de la foule, le rendez-vous des amoureux qui s’y « bécotent », selon la chanson de Brassens, « en s’foutant pas mal des regards obliques / Des passants honnêtes. » À combien de bancs simplement dois-je ces rencontres qui ont illuminé ma vie, au point qu’ils constituent chaque fois pour moi des lieux de pèlerinage attendri et nostalgique ! Le ciel s’y est ouvert, avec les cœurs.
Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Témoin la municipalité de Perpignan, qui vient de faire disparaître la plupart des bancs publics de la ville, accusés de favoriser les réunions de SDF. Devant la protestation d’une association écologiste, l’adjoint au maire en charge de l’urbanisme et de l’aménagement a assuré que la mairie « remplacera sans doute certains des bancs de quatre places supprimés par des bancs à une place où on peut se reposer dans la journée mais qui n’incitent pas à s’entasser ou à se vautrer. » (Source : AFP, 05/01/2015)
Ces nouveaux bancs ne favoriseront donc plus les rencontres. Ce seront, dit l’association écologiste susmentionnée, des « sièges pour culs pointus ». Je ne sais s’ils seront vraiment aussi étroits, mais étroit, certes, a bien été l’esprit de leur promoteur. Le pire de la chose est que la mesure ne vient pas d’en-haut, mais a été naturellement réclamée par certains riverains des anciens bancs, qui se sont plaint des « nuisances » qu’ils leur apportaient. Je ne me fais aucune illusion là-dessus : la solidarité n’est pas comme le « bon sens » de Descartes, la chose du monde la mieux partagée.
On ne veut pas voir les naufragés de la vie. Qu’ils aillent ailleurs ! Admirable solution : si on ne voit plus les pauvres, cela veut-il dire qu’il n’y a plus de pauvreté ? Supprime-t-on la fièvre en cassant le thermomètre ? Notre société est bien duale, il n’y a plus de mixité, d’échange entre les groupes, de convivialité au sens d’Illich. Les nantis maintenant s’abritent derrière leur digicode, et chassent même ceux qui n’ont rien de devant chez eux. Reclus face aux exclus. Jusques à quand ?
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