Elle est progressive, mais inéluctable. Ainsi nos Journaux télévisés maintenant font passer peu à peu à l’arrière-plan les nouvelles de la guerre en Ukraine. En « Une » ils mettent le prix de l’essence, l’inflation, le pouvoir d’achat, etc. Cela ne veut pas dire que le conflit ukrainien perd de sa virulence, loin de là : c’est même plutôt le contraire de jour en jour. Mais enfin on pense que le public chez nous va s’en lasser, et on prend les devants pour lui complaire.
Sur un site Internet consacré aux performances de la Bourse, j’ai vu que par rapport à la guerre les investisseurs veulent maintenant « tourner la page », et « passer à autre chose ». Autrement dit l’Ukraine peut bien être détruite, désormais on s’en accommode, c’est derrière nous, et les affaires continuent comme d’habitude : business as usual. Est-il rien de plus cynique que cette attitude ? Est-il rien qui ne soit pourri par ce capitalisme effréné ?
Les investisseurs ou plutôt ici les spéculateurs boursiers ne font pas même réflexion que cette guerre pourrait bien changer le cours de la mondialisation, comme je l’ai déjà évoqué (lien). On ne réfléchit pas, on navigue à vue, on va de panique justifiée en euphorie absurde. Comme l’orchestre sur le pont du Titanic continuait de jouer en plein naufrage. On ne voit pas que la musique puisse s’arrêter, et on continue de danser.
Qui parle même, à l’occasion de cette guerre, d’économies à faire chez nous, de vie plus frugale à adopter ? Ce serait pourtant le moins qu’on puisse faire, et qui serait un hommage symbolique au peuple ukrainien : on prendrait par là une petite part à son épreuve. Mais non, on ne parle que de maintenir le pouvoir d’achat. On ne pense pas au simple pouvoir d’être : être un humain, dans la dignité et l’empathie.
Bien sûr on oubliera petit à petit les images de bâtiments dévastés, de civils tués, et on regardera ailleurs. On ne pensera plus à ce que dit La Bruyère : « Il y a une sorte de honte à être heureux, à la vue de certaines misères. » Ou encore à ce qu’avoue le personnage de Thérèse, dans La Sauvage d’Anouilh : « Il y aura toujours un petit chien crevé quelque part qui m’empêchera d’être heureuse. »
On dit que l’oubli est nécessaire pour pouvoir continuer à vivre. C’est peut-être vrai parfois. Mais il y a des cas, comme aujourd’hui, où il apparaît comme la pire des trahisons.
Pendant la récente crise sanitaire, on prenait de bonnes résolutions, et on parlait souvent du « monde d’après », plus responsable, plus attentionné pour l’essentiel. Eh bien, à voir ce qui se passe chez nous maintenant, ce monde d’après ressemble bien au monde d’avant.
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