N" (Textes sur images)
L’une : Flotte la feuille, voguent mes pensées. Lumières indistinctes des rêves. Souvent je prends pour l’essence ultime ce vague même des choses. Telle est la vie, ballottée, tiraillée, indécise. Émerveillée dans l’imprécis. On erre, à l’aventure. En fait, on ne s’appartient pas. Ravi, mais toujours ailleurs…
La vie ? Et s’il y en avait une autre ?
Il n’est pas dangereux de se pencher au-dedans…
L’autre : Ce qu’on y voit : un monde net, apparemment plus stable, déterminé, magique aussi, mais autrement. Là est l’essence, le rebours de l’habitude, ce qui ne change pas, sans l’ombre irisée du vent à la surface, sans variation. Ce qui dure et reste quand tout le reste change.
Sûrement mon enfance, ce lieu et ce temps où tout était nécessaire, méritait d’exister. C’est après que tout s’est brouillé. J’aime cette permanence, cette profondeur, où l’on s’enfonce à l’infini. Je ne suis plus surface confuse, je redeviens monde lointain.
Tout était beau alors. Monde de ciel et d’arbres, mêlés dans la certitude et l’évidence de leurs noces, l’abolition du temps.
Ce qui m’en éloigne n’est plus que trace. Le monde tout à l’heure net devient flou maintenant. Simples taches, légères maculations, sur ce paysage seul existant. Toutes les surfaces, tous les plans, s’inversent exactement. Faites l’expérience. Nette la feuille d’abord, puis tache floue. Et d’ombres sombres, les arbres deviennent nets. J’ai tout mis au point.
Plutôt l’appareil. Car ma vision ordinaire compense ces différences. On voit de façon approximative, paresseuse, non tranchée. Louange à la machine, au regard alterné et vraiment objectif, de l’objectif… Le photographe doit ici se décider, même avec l’autofocus…
Parti pris, parti à prendre… De la vie en tout cas il ne faut pas, comme on dit, prendre son parti. Elle est double. Où est celle qu’on croit vraie ? C’est seulement si on en voit l’envers ou le reflet, qu’on en saisit la double magie. Il ne faut rien nier, ni le changement et la surface, la diaprure des choses, leur robe ou leur irisation, leur volubilité, leur maya – ni, ici visible, leur essence profonde. De profundis clamavi : des profondeurs j’ai crié vers elles...
© M.T. - 2010
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