useum of me (ou « Musée de moi-même ») : tel est le titre de la nouvelle application du fabricant de microprocesseurs Intel, disponible sur Facebook (source : Télérama, 15 juin 2011, p.8).
Le dispositif, dit encore ce journal, permet à chacun d’afficher toutes les données de sa page personnelle (photos, centres d’intérêts, « amis » préférés, etc.), et de les mettre en scène dans un musée virtuel. Cette initiative a très vite connu un grand succès, et près d’un million d’internautes ont ainsi créé leur « ego-expo ». On peut également télécharger le catalogue de la visite.
Cette muséification de soi est un évident signe du narcissisme contemporain, où chacun s’auto-idolâtre et se met en scène, au point de considérer sa vie comme une œuvre d’art. Nul ne pense qu’elle puisse être au demeurant si terne et vide que rien ne saurait mériter d’en faire mention. Non, on se laisse prendre aux sirènes de la publicité, qui joue sur le même registre : « C’est bien parce que c’est vous », « Parce que je le vaux bien », « Ce corps dont vous rêvez, c’est le vôtre », « Touchez vos rêves », « Venez comme vous êtes », etc.
Cela me fait penser à ces restaurants où l’on nous dit qu’on y mange « comme chez soi ». Mais si c’est pour y manger comme chez soi, ce n’est pas la peine d’aller au restaurant...
Ainsi en ce monde moderne chacun est dispensé de se mettre en frais, et peut avoir son quart d’heure de célébrité warholien. Chacun même aujourd’hui peut avoir son propre musée ! Il s’y mire avec complaisance et bonheur, à la différence de tout homme ouvert à la Transcendance, qui ne supporte pas de voir sa vie avec satisfaction. Tel Apollinaire dans « Zone » :
« Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enfer ton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C’est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas le regarder de près. »
Le rire du poète ici est un rire d’auto-ironie ou d’autodérision, qui succède à l’ancienne présence en nous de l’aspiration au sacré : ses étincelles infernales remplacent le fond d’or des icônes, et le musée personnel n’a rien d’avenant (« sombre musée »).
Mais le rire de l’homme moderne, qui ne sent plus l’absence d’idéal comme une absence, est un rire de satisfaction. Un peu comme le Lol ! des internautes (Laughing out loud : rire aux éclats), qui d’ailleurs adorent se prendre eux-mêmes en photo (selfie : autoportrait), et s’exposent avec complaisance sur la Toile.
Telle est la modernité, vantant son propre vide : du néant sous des néons !
> Article paru dans Golias Hebdo, 30 juin 2011
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Cet article est extrait du livre suivant :
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