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elle des humains est exorbitante. Tout semble leur être dû. Ainsi ai-je vu le dernier appel de la « légende du surf » Kelly Slater à « éliminer les requins » aux alentours de l’île de la Réunion, pour permettre aux pratiquants de cette activité de s’y livrer enfin en terrain conquis et en parfaite sécurité (source : ParisMatch.com, 2023/02/2017).
Il fait suite à la mort d’un jeune body-boarder attaqué par un requin-bouledogue, dans une zone de l’île d’ailleurs interdite au public, la présence de ces squales y ayant été signalée depuis quelques jours.
Il y a évidemment débat entre ceux qui sont d’accord avec le champion et ceux qui ne l’approuvent pas. Les premiers parlent de la nécessité de préserver la fréquentation touristique de l’île, pour des raisons bien sûr économiques. Mais les seconds, défenseurs des animaux, estiment que les requins sont dans leur environnement naturel dans l’océan et que l’homme ne devrait pas s’y imposer.
Je suis d’accord avec ces derniers. De quel droit, sauf à assurer à quelques privilégiés la pratique d’un sport qui n’est pas d’un enjeu vital, vouloir drastiquement modifier un écosystème par une mesure aussi radicale qu’une élimination, même localisée ? Jusqu’où ira la prétention des hommes à se vouloir les seuls maîtres et possesseurs de la nature, qu’ils s’imaginent pouvoir tourner et modifier à leur seul avantage ?
À ce compte-là, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? On a vu des vacanciers se plaindre du bruit que font la nuit grenouilles et crapauds, ou des coqs qui les éveillent de grand matin. D’autres pourront aussi se plaindre du chant continu des cigales, qui les empêche de faire la sieste, etc. Pourquoi ne pas exterminer tout ce qui vit et fait du bruit, pour être enfin tranquille ? [v. Cigale]
Il me revient une parole biblique qui m’a toujours effrayé, Dieu s’adressant ainsi aux hommes : « Vous serez craints et redoutés de toutes les bêtes de la terre et de tous les oiseaux du ciel. Tout ce qui remue sur le sol et tous les poissons de la mer sont livrés entre vos mains. » (Genèse 9/2)
Je pense encore au « Tue et mange ! », ordre adressé par Dieu à Pierre, pour lui dire que tous les animaux de la terre sont à sa disposition, et qu’il n’a qu’à se servir (Actes 10/13 et 11/7). Ce « Tue et mange ! » aussi m’a toujours effrayé, par la radicalisation qu’il implique.
Ces terrifiantes postures de séparation avec nos frères animaux qui nous caractérisent ordinairement devraient, à mon avis, être maintenant corrigées.
... Tous les hommes d’ailleurs ne les connaissent pas, et une chose ne doit pas ici être oubliée. Comme le disait Lévi-Strauss, quand on commence à séparer les hommes de la nature, on est sur la voie de séparer les hommes entre eux.
Article paru dans Golias Hebdo, 20 avril 2017
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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