Se développe actuellement ce qu’on appelle un « tourisme noir », qui consiste à aller visiter les lieux où se sont produites des catastrophes, soit naturelles comme des tremblements de terre, tsunamis, etc. – soit industrielles, comme celle de Tchernobyl, etc. – soit enfin dues à la barbarie humaine, comme les camps de concentration nazis, le goulag soviétique, etc. Des tour-operators proposent, avec un succès croissant, des visites en ces lieux, et même des séjours dont l’ambition est de recréer l’atmosphère qui y a été vécue. Un beau livre est sorti là-dessus à la fin de l’année dernière, illustré de photographies : Le tourisme de la désolation, par Ambroise Tezenas, aux éditions Actes Sud.
Pour justifier une telle pratique, certains arguent d’un salutaire « devoir de mémoire », dont l’occasion serait ainsi offerte à tous. D’autres disent qu’il faut faire vivre l’histoire pour mieux la comprendre, et ainsi une immersion dans ces lieux tragiques, même au prix d’une reconstitution théâtrale, donc totalement artificielle comme dans une émission de téléréalité, procurerait une émotion spécifique que le seul savoir abstrait ne pourrait donner.
Je ne suis absolument pas d’accord avec cette façon de voir, dans tous les sens de l’expression. Il me semble que cette « consommation de l’horreur » dans le cadre d’un tourisme de masse ne peut pousser à la réflexion et au recueillement. C’est bien plutôt donner des gages au voyeurisme, à la curiosité malsaine, au divertissement et même au narcissisme, totalement non impliqués dans ce qui est vu : le livre susdit montre, pour le musée du génocide de Tuol Sleng au Cambodge, des graffitis de touristes qui ont gravé leur passage sur les murs des bâtiments ayant servi à exterminer une population. Par rapport aux gens qui ont souffert en de tels lieux, il y a non seulement récupération mercantile, mais encore obscénité morale.
Claude Lanzmann dans Shoah n’a fait que filmer des traces sur le sol, et donner à entendre des témoignages oraux. L’indicible en effet dépasse toute vision. Le désir de voir, la pulsion scopique, doivent être bannis dans de tels contextes. C’est face à l’horreur le seul acte respectueux qui s’impose.
***
Pour plus de renseignements sur cette question du "tourisme noir", cliquer : ici.
***
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
Cliquer sur l'image
commenter cet article …