Elle n’est pas la vertu première de nos hommes politiques. Je pense à la récente escapade à Berlin de notre Premier ministre, qui a utilisé avec ses enfants un avion servant aux déplacements officiels, voyage payé par conséquent sur deniers publics, pour assister à un match de football. Pour excuser cette faute, on a d’abord eu recours à un pathétique commentaire du Président de la Fédération européenne, qui a prétendu que le Premier ministre devait le rencontrer à cette occasion : on a voulu transformer un voyage d’agrément en voyage officiel. Mais ensuite, comme manifestement demeurait l’idée d’une faute, notre Premier ministre s’est publiquement excusé, offrant même de rembourser le coût du voyage de ses enfants. Il a dû penser aux déclarations de repentance que font souvent les présidents des États-Unis d’Amérique, pensant s’attirer ainsi le pardon des citoyens. Un adage dit bien que faute avouée est à moitié pardonnée.
Or le problème n’est pas dans la vertu absolutoire de l’excuse, mais dans la possibilité du fait lui-même. Comment un homme politique peut-il avoir l’idée même de puiser sur le budget de l’État, à la sauvegarde duquel il devrait veiller, pour satisfaire une envie personnelle ? Nous sommes bien loin ici du Général de Gaulle, qui à l’Élysée payait ses notes d’électricité avec ses propres deniers. La République devient ainsi, selon le mot de Montesquieu dans De l’esprit des lois, une « dépouille » dont on profite sans scrupule, une fois oubliées « vertu » et moralité civique.
Grande est la tentation aujourd’hui pour les hommes politiques, non plus de servir l’État, mais de s’en servir et de se servir. Ils se sont professionnalisés, et leur carrière dure toute une vie. Pour eux on ne parle plus d’ailleurs d’« indemnités », mais de « rémunération ». Et qu’on ne me dise pas que l’exemple du Falcon ministériel est petit. Symboliquement il est très grand. « Les nations meurent, a dit Giraudoux, d’imperceptibles impolitesses. » Car une fois en si bon chemin, où s’arrêtera-t-on ? Voyez Le Lion et le Rat, de La Fontaine : « Une maille rompue emporta tout l’ouvrage. » C’est dans les détails qu’on voit l’essentiel : en eux, dit-on, se loge le Diable.
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Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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