C’est le fait de se suffire à soi-même, ne pas dépendre des autres. Elle était, avec l’ataraxie ou absence de trouble, l’idéal de la sagesse antique. C’est elle aussi que recommandait Schopenhauer : « La tête d’autrui, disait-il, est un bien triste lieu pour que l’homme en fasse le siège de son bonheur. »
J’ai pensé à cela en lisant les résultats de l’enquête de l’Institut danois de Recherche sur le Bonheur, qui s’est interrogé sur le rôle joué par Facebook sur cette question. Les personnes interrogées ont été divisées en deux groupes : celles ayant vécu une semaine sans utiliser le réseau social se sont dites in fine plus heureuses que celles qui l’avaient pratiqué. « Au lieu de se concentrer sur ce dont nous avons besoin, nous avons une tendance malheureuse à nous concentrer sur ce que les autres ont. Or, sur Facebook, les gens ont 39% de risques de se sentir moins heureux que leurs ‘amis’ », estiment les auteurs de l’étude (source : AFP, 10 novembre 2015).
Effectivement, pourquoi faudrait-il se comparer à d’autres, virtuellement, pour se sentir vivre soi-même, et courir ainsi le risque, chimérique, de se déprécier ? Facebook unit à la fois et paradoxalement le narcissisme le plus égocentré à la dépendance absolue à l’égard d’autrui. D’un côté on s’y étale avec complaisance, mais de l’autre on y mendie implicitement l’approbation d’autrui, dans une pathétique quête de quelques Likes. On oublie que seul celui qui se suffit d’abord à soi-même et qui donc peut assumer son essentielle solitude peut, dans un second temps, s’ouvrir aux autres. Bref on vit pour soi-même et par les autres, alors qu’il faudrait vivre par soi-même et pour les autres. J’ai développé tout cela dans mon ouvrage Méandres de l’amour (Dervy, 2014).
Ainsi, au lieu de se répandre de façon innocemment impudique sur les réseaux sociaux et d’en attendre le bonheur de façon tout aussi innocemment déraisonnable, mieux vaut se réunir d’abord à soi-même : cette conversion déteindra forcément sur l’entourage immédiat. Et si nous avons besoin à tout prix de communiquer au loin, mettons en pratique l’ancienne maxime : Vitam recunde, cogitationem effunde – Cache ta vie, et répands ta pensée.
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Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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