Il est essentiellement tragique, car il suppose une élimination : de tout ce qui précisément n’est pas choisi. Toute détermination, disait Spinoza, est une négation. Et Gide a dit la même chose dans ses Nourritures terrestres : « Choisir m’apparaissait non tant élire, que refuser ce que je n’élisais pas. » Cette situation, liée à l’exercice même de notre liberté, ou de ce qu’on s’imagine être liberté, est éminemment problématique, ce qu’on peut voir dans l’expression, prise en son sens fort, de « l’embarras du choix ».
C’est à quoi j’ai repensé en voyant le dernier beau film de Woody Allen Café Society. L’héroïne aime deux hommes, l’oncle et le neveu, hésite entre eux, puis épouse le premier qui a déjà, à la différence du second, une situation sociale rassurante. Mais ce choix fait deux malheureux, à la fois celle qui le fait et celui qui en est la victime, même si ce dernier parvient lui aussi à faire un mariage brillant et à réussir socialement. Car ils ne cessent et ne cesseront de s’aimer jusqu’à la fin, qui est extrêmement pathétique, chacun rêvant en secret à l’autre. « Les rêves ne sont que des rêves », dit l’héroïne, et là j’ai pensé à ce que dit Calderon dans La Vie est un songe : « Et les songes ne sont que des songes ». Le film est donc une double éducation sentimentale, qui s’achève dans un double échec et une double résignation, justifiant ce que dit un personnage : « La vie est une comédie écrite par un auteur sadique ».
Plus nous choisissons dans la vie, plus nous refoulons, et plus l’ombre qui nous habite et nous suit, pour reprendre un terme essentiel de C-G. Jung, s’opacifie, se densifie. Elle se nourrit de tous nos refus, c’est la part non choisie de tous nos choix. Et à la fin elle nous engloutit : nous devenons la proie pour l’ombre. Nous pouvons fonctionner mécaniquement à l’extérieur, mais à l’intérieur de nous s’installe et réside un profond sentiment de néant. Le thème n’est évidemment pas nouveau, mais c’est le mérite essentiel de ce film de nous l’avoir rappelé.
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