Des mouvements antiracistes veulent faire enlever le nom de Colbert au fronton de nos établissements publics, dont les lycées, au motif qu’il a rédigé, sur demande de Louis XIV, le Code noir entérinant et réglementant l’esclavage. Ce fait est exact, mais je me demande si on a bien raison d’aller jusque là.
Tout homme a sa part d’ombre, même si par ailleurs il peut avoir des qualités, qui le font paraître lumineux aux yeux de la postérité. À suivre ces iconoclastes, il faudra faire la chasse à tous ceux qui ont pu avoir dans l’histoire des sympathies pour le racisme, ou simplement pour des causes moralement discutables. On pourra incriminer Louis XIV lui-même, puis Napoléon, qui a donné sa bénédiction à l’esclavage en le réactivant. Mais aussi je suis bien sûr qu’on trouvera jusque chez le général de Gaulle des zones d’ombre en telle ou telle de ses positions. Est-ce une raison pour débaptiser rues et avenues, déboulonner les statues sur les places publiques, etc. ?
Partie en si bon chemin, la chasse aux sorcières pourra s’en prendre à quasiment tous les écrivains. Il y a de l’antijudaïsme chez Shakespeare, avec le personnage de Shylock dans Le Marchand de Venise. Chez Voltaire, où la rapacité d’un « marchand juif » est mentionnée dans Candide. Chez Balzac, avec le personnage du baron Nucingen. Chez Baudelaire aussi (« Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive... »), etc. Et pour prendre un autre domaine les admirateurs de Zola lui-même savent-ils comment il traite la Commune de Paris dans La Débâcle ? Les Versaillais y sont présentés comme la partie saine de la France amputant cette dernière de sa partie gangrenée. Est-ce ce qu’on attend d’un écrivain progressiste ?
En vérité, nul n’est parfait. C’est pour chacun le bilan général de l’œuvre qui compte, et c’est aux historiens de le dresser impartialement. Il y a un angélisme exterminateur, qui anime les mouvements susdits. Leur zèle de purification oublie que sauf à critiquer à peu près tout le monde il y a toujours une mesure à garder en toutes choses : Est modus in rebus.
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