C’est un état durable et engageant toute la personne, qu’il ne faut pas confondre avec le plaisir, localisé et éphémère. Ainsi dans son dernier livre The Hacking of the American Mind (2017) le pédiatre et neuroendocrinologue états-unien Robert Lustig montre que non seulement le bonheur n’est pas la conséquence de l’accumulation du plaisir, mais que la recherche effrénée de celui-ci inhibe le sentiment de plénitude et de contentement. La biochimie même l’explique : le plaisir ne met en jeu que la dopamine, tandis que le bonheur dépend de la sérotonine (Source : LeMonde.fr, 30/01/2018).
En effet, l’Occident tout entier est constamment voué à des conduites addictives. De l’utilisation frénétique des réseaux sociaux à la consommation de sucre et d’aliments transformés, le plaisir bon marché n’a jamais été aussi invasif, suscité en permanence par une multitude de nouveaux produits et de services, présentés comme autant de conditions sine qua non au bonheur. Mais cette prétention est tout à fait mensongère, car il s’agit ici non pas de rechercher un équilibre durable, mais de satisfaire une démangeaison, un éréthisme, de calmer provisoirement un prurit. Dans le Gorgias de Platon, à Calliclès qui voit la vie comme une simple addition de plaisirs, Socrate répond qu’il ressemble à quelqu’un qui aurait la gale, qui prendrait plaisir à se gratter et se gratterait tout le temps.
Lucrèce comparait ceux qui recherchent le plaisir à ces Danaïdes de la mythologie, condamnées à remplir inlassablement un tonneau sans fond. Mais le pire me semble-t-il est quand il nous arrive de voir, en un rare éclair de lucidité, le néant même de ce plaisir que nous recherchons. « Aux objets répugnants nous trouvons des appâts », dit Baudelaire. Cet écartèlement perçu alors entre ce que nous vivons et notre nature profonde est littéralement diabolique, le Diable étant ce qui nous divise (diaballein). Essayons alors de fuir ce monde factice, de nous unifier, et de trouver le bonheur dans ce pays sans division dont parle le même poète, « où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé »...

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