C’est, selon Malebranche, la piété maximale de l’esprit. On n’en fera jamais assez l’éloge, car elle est aujourd’hui en grand déclin.
Dans le système scolaire, par exemple, combien d’élèves doivent leurs mauvais résultats simplement à des difficultés d’attention ! Ainsi il est effarant de constater le nombre d’appels qu’ils reçoivent le soir sur leur téléphone portable : peuvent-ils faire correctement leurs devoirs dans ce temps-là ? D’ailleurs, accourir à la sonnerie comme le chien quand on le siffle, est-ce être libre ?
On essaie de remédier à ces difficultés de concentration par des drogues chimiques, à base d’amphétamines. Mais est-ce une solution ? Je pense aussi à ces personnes qu’on voit dans les transports en commun, en train de lire avec un walkman sur les oreilles. Que peuvent-ils bien comprendre à ce qu’ils lisent, car l’esprit, tous les neurologues nous le disent, ne peut faire deux choses à la fois ? Il n’est pas multitâche, et on n’y peut ouvrir, à la différence de tel logiciel informatique, plusieurs fenêtres à la fois.
Les Anciens disaient bien : Age quod agis – c’est-à-dire : « Fais ce que tu fais ». Autrement dit : fais effectivement ce que tu es en train de faire, en ne faisant que cela.
Il faudrait apprendre la concentration, et toutes les sagesses du monde insistent sur le salut procuré, à cet égard, par la méditation visant l’état de pleine conscience (mindfulness). Elle consiste à poser seulement l’esprit sur l’instant présent, le hic et nunc, l’ici et maintenant. S’il s’évade ailleurs, il faut le ramener à cet instant, s’y absorber. Les effets somatiques en sont très bénéfiques, par exemple sur l’obésité et l’hypertension.
On objectera peut-être que ce moment présent n’a rien d’attirant en soi. Mais quand bien même cela serait, il faudrait faire l’éloge de ce vide même, de cette disponibilité, je dirais même celui de l’ennui. Laissons nos enfants, bien souvent rendus hyperactifs par la suroccupation dont les accablent leurs parents, s’ennuyer. L’ennui est formateur, car il développe l’imagination. C’est dans la lenteur même de l’écoulement du temps qu’elle peut s’épanouir. Là encore un ancien proverbe est d’actualité : Festina lente – « Hâte-toi lentement ».
Nous valorisons l’aigle, à cause de sa vue perçante. Ou le lion, à cause de sa force (il dort pourtant la plupart du temps !). Mais qui fera l’éloge de la tortue ? À son allure, tout peut prendre vie, devenir objet d’une attention et d’un éveil salvateurs.
6 octobre 2011
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Nota : Ce texte est aussi publié en volume. Retrouvez-le, avec toutes mes chroniques revues et enrichies, réunies sous forme de livres édités chez BoD en version papier et en version électronique, et constituant une collection de plusieurs tomes :
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