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3 juin 2021 4 03 /06 /juin /2021 01:01

... L’Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde vient donc du « il a porté les péchés de beaucoup d’hommes », d’Is 53/12. La première catéchèse chrétienne insiste beaucoup sur ce point. Le genre humain est racheté « par le sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache » (1 Pe 1/19), ou par le « sang de Christ, qui, par un esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu » (He 9/14). La problématique de l’Agneau de Dieu est donc la même ici que celle de la Rédemption* et du Sacrifice*.

 

Est-il, cet Agneau, sacrifié pour ainsi dire malgré lui, comme suggère l’Épître de Pierre, ou bien s’offre-t-il lui-même en sacrifice, comme dit l’Épître aux Hébreux ? Les deux, dit l’enseignement officiel de l’Église. « Au moment d’être livré, et d’entrer volontairement dans sa Passion… », dit la liturgie de la Messe. On maintient donc un Jésus homme livré par un homme (Judas) et à des hommes, comme on le voit lors de la scène de son arrestation dans les évangiles synoptiques (Mt 26/47 sq. ; Mc 14/43 sq. ; Lc 22/47 sq.)  ; et un Jésus déjà en voie de divinisation, se livrant lui-même en une sorte de théophanie qui fait tomber les assistants à la renverse, dans la version johannique de cette même scène (Jn 18/6). En vérité, il y a bien deux visages de Jésus, un visage humain et un visage divin. C’est ce que le dogme officiel, depuis le Concile de Chalcédoine, appelle sa double nature.

 

C’est donc le Jésus divin qui dit à Judas dans l’Évangile de Judas : « Tu les surpasseras tous, car tu sacrifieras l’homme qui me sert d’enveloppe charnelle. » Il y a donc là une mort volontaire, un suicide divin de Jésus, que les premiers Pères de l’Église d’ailleurs ont remarqué. Comment s’offusquer alors de la place suréminente donnée à Judas lui-même dans ce scénario ? Par sa trahison, il a aidé Jésus à se révéler aux hommes comme Dieu, et par conséquent sans lui pas de christianisme : donc c’est l’apôtre le plus méritant. Voyez là-dessus le cas des hérétiques dits Judaïtes, ou sectateurs de Judas. Ou encore « Trois versions de Judas », dans Fictions de Borges (1944). Certes cet Évangile de Judas donne de Jésus une image particulière, passée par un filtre gnostique. Mais l’hérésie a au moins le mérite de la logique et de la cohérence, en se maintenant dans une seule voie, tandis que le dogme officiel essaie illogiquement d’unir des contraires : v. Mystère*, fin.

 

Certains tout de même, comme René Girard, disent qu’un Jésus qui s’offre lui-même en victime expiatoire innocente met fin, en en montrant l’injustice irrémédiable, à tous les autres sacrifices antérieurs, où on mettait à mort une victime désignée, et à qui évidemment on ne demandait pas son avis. Je ne sais trop si cela fait une telle différence, et si le sacrifice volontairement accepté suffit à parasiter en quelque sorte tous les autres, et à mettre fin ainsi au déchaînement de la violence dans l’histoire.

 

Certains aussi aujourd’hui essaient de gommer ou d’atténuer l’aspect de sacrifice expiatoire que peut prendre ce thème de l’Agneau de Dieu, avec tout son contexte sanglant. On est bien sûr choqué par le bouc émissaire, que le prêtre, dans la religion hébraïque, le jour de la fête des Expiations, chargeait des péchés d’Israël, expulsait au désert où il devait mourir (Lev 16/21-22). Ce rituel était le plus primitif qui soit, et il avait un but thérapeutique : la destruction du bouc émissaire (gr. : pharmakos) permettait à une collectivité d’expulser le mal en son sein, en en chargeant une victime désignée. Notez qu’une des origines de la tragédie (littéralement en grec : « chant du bouc »), pourrait être le sacrifice de cet animal avant la représentation. Cela fait frémir. Aussi propose-t-on souvent de l’Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde une traduction adoucie : qui enlève, ou qui ôte les péchés du monde. Alors on ne considère que le résultat, et non le processus. C’est une variante de métonymie, appelée en rhétorique métalepse, qui dit le conséquent pour l’antécédent, l’effet pour la cause. Ainsi : Nous le pleurons, remplace : Il est mort. Le but évidemment est l’euphémisation, le voilement.

 

Le problème est que dans le texte grec initial : ho airôn tèn hamartian toû kosmou, et dans sa traduction latine : qui tollit peccata mundi, les deux verbes, respectivement airein, et tollere, ont les deux sens : porter sur soi (comme dans le cas du bouc émissaire) et enlever. Libre à chacun de préférer le second au premier, un peu comme de préférer manger tranquillement de la viande, que de voir abattre l’animal...

 

D.R.

 

> Ce texte est extrait du tome 1 de ma Théologie buissonnière, préfacé par André Gounelle, pp.14-16 :

***

 

> Pour lire le premier extrait de mon article Agneau de Dieu, cliquer : ici.

 

> Pour voir la liste de tous mes livres édités chez BoD, cliquer : ici.

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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