... Mais l’Agneau de Dieu ne renvoie pas qu’à l’agneau pascal des juifs. Il est aussi inspiré par le passage essentiel d’Isaïe, dit du Serviteur souffrant : « Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui devant qui l’on se voile la face, il était méprisé, nous ne l’avons pas considéré. Certes, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé. Et nous, nous l’avons considéré comme atteint d’une plaie, comme frappé par Dieu et humilié. Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie ; et Yahvé a fait retomber sur lui la faute de nous tous. Il a été maltraité, il s’est humilié, et n’a pas ouvert la bouche ; semblable à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent, il n’a pas ouvert la bouche. » (53/7) Pour un juif cependant ce passage ne signifie pas un quelconque Messie souffrant : il n’est qu’une allégorie des épreuves actuelles d’Israël. Mais le christianisme en a fait tout autre chose : l’image du Messie crucifié, au centre par exemple de la christologie paulinienne. Dans ce texte d’Isaïe est essentiellement son résumé archétypal, ou sa matrice : v. Kérygme / Credo*, Messie*.
La succession chronologique du thème pourrait donc être figurée de la façon suivante : d’abord Is 53 ; puis 1 Co 15/3, où figure le kérygme ou la proclamation de Paul, le premier en date des Credos chrétiens : « Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures… » ; ensuite Ac 8/32, où un eunuque éthiopien dialogue avec Philippe : « Le passage de l’Écriture qu’il lisait était le suivant : ‘Comme une brebis il a été conduit à la boucherie ; comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n’ouvre pas la bouche’ » ; et enfin 4/ Jn 1/29 : « Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. » L’Agneau de Dieu n’est donc pas qu’une émouvante image salvatrice, pour le croyant ; ou bien un archétype de l’imaginaire collectif, pour l’agnostique : c’est avant tout une figure textuelle, décontextualisée et recontextualisée.
On peut penser en effet que beaucoup de récits évangéliques n’ont rien d’historique, mais ne sont que des reprises de passages bibliques antérieurs. Les récits de la Passion par exemple viennent tout droit d’Is 53, ainsi que de tel ou tel des Psaumes. C’est le procédé, bien connu des rabbins, du midrash, paraphrase exégétique et patchwork de textes antécédents. Ainsi le silence de Jésus devant le Grand Prêtre (Mt 26/63 ; Mc 14/61) vient tout simplement du silence de la « brebis muette devant ceux qui la tondent. » (Is 53/7) On sait que pour l’orthodoxie chrétienne, l’A.T. n’est qu’une figure annonciatrice du N.T. Tout s’est produit, dit-on, et lit-on même souvent dans le texte, « pour que l’Écriture s’accomplît ». Mais dire ou penser que cela s’est produit ainsi, je veux dire effectivement, historiquement, est strictement affaire de foi. On peut dire aussi que tout a été raconté ainsi par le narrateur, tout simplement parce qu’ayant la Bible juive sous les yeux, ou présente à sa mémoire, il se contentait de la recopier ou de la remettre en scène : v. Figure*.
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> Ce texte est extrait du tome 1 de ma Théologie buissonnière, préfacé par André Gounelle, pp. 12-14 :
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