J’ai regardé avec intérêt l’émission Corleone, le parrain des parrains, diffusée sur Arte dans la soirée du 15/05/2021. Elle donnait, à la façon d’une tragédie shakespearienne, un portrait glaçant du fonctionnement de la Mafia sicilienne. Comme l’a dit le juge Falcone dans un propos rapporté à la fin de l’émission, les ressorts n’en sont pas surnaturels ou diaboliques, mais strictement humains. Il vaut donc la peine de les creuser, pour mieux connaître les replis de notre nature.
On peut assurer son pouvoir sur quelqu’un et se garantir son respect en le déchargeant de toute responsabilité pour subvenir à ses besoins, et en le dépossédant de sa liberté. C’est la leçon de la fable de La Fontaine Le Loup et le Chien. Le Chien est nourri, mais esclave de celui qui le nourrit. Le Loup est certes famélique, mais au moins il est libre, et a le meilleur parti. Cependant je suis persuadé que bien plus de personnes aimeraient être Chien plutôt que Loup. On ne croit pas toujours que l’homme ne vit pas seulement de pain, comme il ressort de l’épisode évangélique de la Tentation de Jésus au Désert.
À partir de là, on peut conclure que dans le monde politique tout clientélisme de type féodal (et ils sont nombreux) est de nature mafieuse. On s’assure soumission et votes par distribution de gratifications et de prébendes. Et obéissance, par la peur de ne plus les avoir.
On voyait aussi dans l’émission que les gens recrutés par Cosa Nostra étaient heureux d’avoir enfin un statut social qui les séparait de la masse. Avant, ils n’étaient rien et en souffraient. Mais ensuite, ils étaient respectés partout. Là est un ressort humain profond. On n’aime pas l’anonymat, on ferait tout pour sortir du lot, comme cet Érostrate de l’Antiquité qui incendia le Temple d’Artémis à Éphèse parce qu’il ne supportait pas d’être inconnu. Si grande est l’importance qu’on accorde au regard des autres et aux valeurs de représentation ! On comprend aussi pourquoi la Mafia parlait toujours d’« honneur », qui est une parfaite soumission au regard d’autrui. Bien sûr il y a là une escroquerie intellectuelle. Ce n’est pas parce qu’on est honoré qu’on est honorable ; ou respecté, qu’on est respectable.
Finalement, on voit que barbarie et cruauté extrêmes ont des racines simplement humaines, et qu’il peut y avoir, comme Hannah Arendt l’a montré à propos d’Eichmann, une banalité du mal – ce qui ne veut pas dire qu’il faut le banaliser...
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Ce texte est à paraître dans le journal Golias Hebdo. Il figurera dans une collection dont fait partie l'ouvrage suivant en tant que premier tome. On peut en feuilleter le début (Lire un extrait), et on peut l'acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Tous les livres de la collection sont aussi disponibles sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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