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n concours de beauté intitulé Miss Holocauste, faisant s’affronter des femmes ayant survécu à la Shoah, vient d’être organisé en Israël (source : Site Internet du journal Elle, 29 juin 2012).
Le responsable de cet événement le considère comme une « célébration de la vie », et une Polonaise de 74 ans, une des 300 candidates, a déclaré : « J’ai le privilège de montrer au monde que Hitler a voulu nous exterminer et que nous sommes vivants. Nous profitons de la vie. »
Certes, grand bien lui fasse ! Mais quid de toutes les personnes mortes dans ce massacre ? Le sacre d’une survivante ne leur est-il pas une insulte ? Faut-il se féliciter d’avoir survécu à une catastrophe ? Ne faut-il pas au contraire penser avec émotion et silence aux victimes, et respecter la douleur de leurs proches ? N’est-ce pas tuer une seconde fois ceux qui sont morts que de s’affirmer quant à soi bien vivants et heureux de l’être ?
On sait que certains survivants à l’holocauste juif n’ont pas supporté d’en avoir réchappé, au point que certains se sont définitivement murés dans le silence, ou bien se sont suicidés, comme Primo Levi.
Et c’est psychologiquement compréhensible. En général, selon ce que dit La Bruyère : « Il y a une espèce de honte à être heureux à la vue de certaines misères ». À quoi fait écho la parole de La Sauvage d’Anouilh : « Il y aura toujours un petit chien crevé quelque part qui m’empêchera d’être heureuse. » Il arrive que le bonheur soit une insulte au malheur, qu’il ne respecte pas.
L’impudeur du procédé susdit est générale. On fait aujourd’hui concours de tout, et au prix d’un énorme contraste on oublie la substance réelle des choses pour ne retenir que la forme, qui vaut alors pour elle-même et est seule prise en considération.
Cela me fait penser à ces « Funérailles à prix coûtant » qui formaient naguère le slogan d’une grande surface. Ou encore à ce « Lancer de nains » pratiqué il y a quelque temps aussi dans certains night-clubs. Avec une parfaite équanimité du regard, on nivelle tous les contenus, que l’on traite avec total cynisme, totale obscénité, totale indécence.
De toute façon, sacrer une Miss Holocauste et lui donner de beaux vêtements ne donneront pas forcément plus de sens à sa vie. Restera une macabre et inadmissible mise en scène, où amnésie, formalisme et esprit fun, tous caractères de la modernité, s’unissent pour faire oublier le réel.
Article paru dans Golias Hebdo, 12 juillet 2012
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