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lle sauve l’âme, c’est le seul recours quand tout semble perdu. Souvenons-nous de ce que disait Montesquieu : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. »
Elle seule peut nous montrer qu’existe autre chose que ce que nous connaissons, fussions-nous au fond du malheur. Capitale aussi est la possibilité d’écrire ce que l’on sent, car elle permet de s’en délivrer par la verbalisation clarifiée, la prise de conscience consécutive à l’objectivation ainsi permise, et aussi parfois par le simple pouvoir cathartique de la mise en mots.
Aussi le pire crime est, me semble-t-il, d’interdire la possibilité de ces deux remèdes à quelqu’un, quel qu’il soit.
C’est pourtant ce que vient de faire le ministère de la justice britannique, qui a décidé d’interdire l’envoi de livres, de magazines, de papier et de timbres aux détenus. Chris Grayling, le secrétaire d’État, a cru bon d’expliquer qu’il s’agissait de soumettre les prisonniers à des « conditions plus spartiates », afin d’accélérer leur « réhabilitation » (Source : Marianne, 6/06/2014)
On reste rêveur devant une telle mesure. Prétendre « réhabiliter » des prisonniers par une telle interdiction est une ineptie. C’est bien plutôt le contraire qui se produira : coupés de la lecture et de l’écriture, comment pourront-ils se reconstruire ? Se mettre à distance des « démons » qui peuvent encore les habiter, sans le secours de la médiation des mots ? Ne resteront que les instincts bruts, et les fameuses « conditions plus spartiates » les enfermeront dans l’animalité, car elles procèdent elles-mêmes de la plus grande barbarie. [v. t. 2 : Cruauté]
N’oublions pas, en effet, que s’il y a une barbarie brute, il y a aussi une barbarie thérapeutique et médicale, comme on le voit à la fin d’Orange mécanique, le roman de Burgess et le film de Kubrick : le traitement de déconditionnement subi par Alex n’a rien à envier en sauvagerie à celle de ses actions passées.
La justice a pouvoir sur les corps, mais jusqu’ici, heureusement, elle pouvait respecter les âmes : on pouvait être libre derrière les barreaux, en lisant ou en écrivant. Mais ici le cas change. On pourrait lui adapter une phrase de l’évangile, en changeant son contexte : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne. » (Matthieu 10/28) [v. Livre]
> Article paru dans Golias Hebdo, 3 juillet 2014
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