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n mari a-t-il celle d’avoir des relations sexuelles régulières avec sa femme ? Apparemment oui, puisque c’est ce qui ressort d’un arrêt prononcé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, révélé le 29 novembre dernier.
Un homme a été condamné à verser 10.000 euros à sa femme pour avoir manqué à ses devoirs conjugaux pendant plusieurs années. La cour s’est appuyée sur l’article 1382 du code civil, qui prévoit que toute personne « qui cause à autrui un dommage » doit réparer ce préjudice. Comme s’il y avait là, de la part de la « victime », une sorte de tromperie sur la marchandise, dont il faudrait obtenir réparation financière.
Je vois là un signe manifeste de la judiciarisation croissante des affaires privées, l’intrusion très fâcheuse d’une instance tierce dans ce qui devrait ne relever que de la vie intime. Les problèmes qui découlent de ce jugement, s’il devait faire jurisprudence, sont sans nombre. Comment établira-t-on la culpabilité de l’incriminé, en l’absence de témoins ? Faut-il mettre une boîte noire ou une caméra cachée dans toute chambre conjugale ?
J’entends bien que la pire offense qu’on puisse faire à une femme est de ne pas la désirer. Mais aussi combien de fois une épouse se refuse-t-elle à son mari, en prétextant migraine ou autre ! Et celui-ci peut avoir diverses raisons pour renoncer à son « devoir », la fatigue par exemple du travail qu’il consent parfois pour donner simplement des revenus à sa femme. Le problème du « Qui a commencé ? » est donc a priori insoluble, autant que les motifs véritables du plaignant. La justice ne peut entrer dans des contextes particuliers dont le nombre est infini, et en regard desquels il est absurde de poser abstraitement un principe général.
Enfin qui ne voit que le « devoir conjugal » s’oppose absolument au « viol conjugal », qui depuis 1992 est légalement condamnable entre conjoints ? Qui empêcherait le violeur de sa femme de s’autoriser de son « devoir », pour s’exonérer de sa culpabilité, et transformer les derniers outrages en suprêmes honneurs ? Le devoir conjugal retournerait ainsi au droit de cuissage.
En vérité, il a été instauré, comme le mariage dans son ensemble, pour favoriser et valoriser la reproduction de l’espèce, sans quoi aucune société ne peut vivre : il y a là une transcendance collective, qui fait bon marché des aspirations individuelles, et par quoi certains, du fait d’une justice aveugle, peuvent être impitoyablement broyés.
[v. Copulation]
> Article paru dans Golias Hebdo, 15 décembre 2011
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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