C |
omme tous les ans depuis 2006, à l’initiative d’une organisation pacifiste anglo-saxonne, le 21 décembre dernier, jour du solstice d’hiver et donc le plus court de l’année, a été décrété « Journée mondiale de l’orgasme ». Selon les fondateurs de cette association, Global Orgasm for Peace, si nous faisions tous l’amour en même temps, « une vague d’ondes positives envahirait le monde » (source : Francetvinfo, 21/12/2013).
Bien sûr, les mauvais plaisants pourraient dire que cela épuiserait les sommiers aussi, et ferait le bonheur des fabricants de literie. Mais je crois qu’une telle initiative présente beaucoup d’intérêt. En effet, éprouver un orgasme ne donne pas envie, ensuite, d’aller étriper son voisin. Ne vaut-il pas mieux ressentir en soi la « petite mort », plutôt que de vouloir à tout prix infliger la grande aux autres ?
On sait le cas de Lysistrata d’Aristophane : pour faire cesser la guerre, les femmes font la « grève de l’amour », se refusent à leurs partenaires, et cela est efficace puisque finalement ils renoncent au combat. Il y a là, 25 siècles avant, une anticipation vraiment prémonitoire du slogan hippy : Peace and Love – Make love, not war !
Une vieille maxime, reprise dans le film de Buñuel Belle de jour, dit d’ailleurs les dangers de la continence subie de façon constante : Semen retentum venenum est – Retenir sa semence est un poison. Et l’on sait assez combien la frustration sexuelle engendre l’agressivité et la violence. À cet égard les bonobos ont mieux choisi que les chimpanzés [v. Singe].
On sait aussi depuis Wilhelm Reich et sa Fonction de l’orgasme que ce dernier est bon pour la santé. Je ne sais si comme il le pensait il peut protéger du cancer, mais en tout cas certains cardiologues en ont souligné les effets bénéfiques pour l’organisme – même si les esprits chagrins pourront relever ici la fin orgasmique du président Félix Faure, mort en épectase entre les bras de Mme Steinheil. La même mésaventure arriva au cardinal Daniélou, qu’on retrouva mort chez une prostituée, au grand embarras de l’Église romaine, qui prétendit qu’il était allé chez elle seulement pour la confesser !
Mais enfin l’Église oublie que cette épectase est aussi une notion théologique, epektasis, « tension vers Dieu », attestée dans l’épître aux Philippiens, et à laquelle ce même cardinal a consacré un livre en l’étudiant chez les Pères grecs ! Ne condamnons donc pas cette tension, quels qu’en soient le contenu et les manifestations.
Parfois l’extase mystique même est extase charnelle : que penser de la Transverbération de Sainte Thérèse, dans le fameux groupe sculpté du Bernin ? N’est-elle pas profondément ambiguë ? Ne peut-on aller vers Dieu par une commotion de tout son corps ? Le tantrisme le sait de tout temps. Vive donc l’orgasme, et vivement le prochain 21 décembre !
> Article paru dans Golias Hebdo, 9 janvier 2014
***
Cet article est extrait du livre suivant :
17,00€Livre papier
Lire un extrait
DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
commenter cet article …