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n proverbe nous dit qu’elle n’est pas de ce monde. Pourtant son idéal ne cesse de nous hanter.
C’est à quoi vient de répondre un décret gouvernemental obligeant à signaler les retouches sur les photos publicitaires de mannequins. Elles proviennent très souvent d’un logiciel de traitement d’images, comme Photoshop, et font miroiter aux yeux des jeunes filles, par exemple, la possibilité de l’existence réelle d’un corps parfait, ce qui est faux. Voulant y atteindre, elles peuvent devenir anorexiques, et mettre en péril leur santé (source : Numerama.com, 01/10/2017).
Plusieurs réflexions viennent alors à l’esprit. D’abord on peut déplorer la dictature de l’apparence, du look sur les esprits. Si l’on n’est pas svelte, et conforme aux canons esthétiques en vigueur aujourd’hui, on est stigmatisé : il y a là un totalitarisme fascisant, qui exclut quiconque n’est pas dans le moule admis. On l’accuse d’en être coupable, alors que la génétique et l’environnement jouent là-dedans un grand rôle. Le surpoids, voire l’obésité, ne sont pas toujours imputables à 100% à ceux qui en souffrent.
Au reste, on notera que ces canons de la beauté ont varié, comme il se voit dans notre mot « embonpoint », qui signifiait à l’origine « en bonne santé », avant d’être maintenant dépréciatif. La peinture montre que la minceur féminine n’a pas toujours été un canon normatif : voyez les nus de Rubens par exemple.
En dernier lieu, le philosophe pourra faire remarquer que notre idéal de beauté, qui remonte à la Grèce antique, a toujours été précisément un idéal, sans aucun référent dans le monde réel. Les statues grecques sont terrifiantes d’irréalité, si l’on y songe : aucun corps réel n’y peut correspondre. J’ai été en Grèce deux ans, et je n’y ai jamais vu de « nez grec ».
Élie Faure déclarait l’art grec « monstrueux », précisément parce qu’il n’a jamais représenté de monstres – entendez : le démonique et la négativité inhérents à la vie, matérialisés par la laideur. Et Nietzsche soulignait : « Il y a entre l’art grec et la vie le même rapport qu’entre la vision du martyr et les souffrances qu’il endure. » Autrement dit la beauté académique est hors-vie, un simple rêve, et les Grecs eux-mêmes peuvent relever de notre « décret Photoshop » !
Article paru dans Golias Hebdo, 26 octobre 2017
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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