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étrobus, la régie publicitaire de la RATP, vient d’enlever, dans les affiches le représentant, la pipe de Monsieur Hulot, personnage fétiche de Jacques Tati.
Même chose vient d’être faite pour l’affiche du film consacré à Coco Chanel, où la cigarette que tenait l’actrice principale a été ôtée. Affiches dénicotinisées, donc…
On peut penser aussi au brin d'herbe qui a remplacé la cigarette de Lucky Luke dans les albums de Morris.
C’est le conformisme, le désir de sacrifier au politiquement correct si répandu aujourd’hui, mais aussi, au fond de tout cela, la peur d’encourir les foudres de la loi Even qui a mû ces publicitaires. Or cette loi n’interdit que la promotion directe du tabac, et non pas les représentations culturelles où il peut figurer, mais à tout autre but que d’en vanter l’usage. En l’espèce, Métrobus a fait du zèle.
À ce compte, il faut aussi enlever la pipe de Maigret, celle du capitaine Haddock, aussi la cigarette d’Humphrey Bogart, et de tous les privés des films noirs américains, etc. Et pourquoi pas, si on prend un si bon chemin, supprimer de tous les manuels de littérature La Pipe de Baudelaire, le cigare que chante Mallarmé dans son Art poétique, et jusqu’à cet éloge dithyrambique du tabac que fait Sganarelle au début du Dom Juan de Molière… La liste évidemment n’est pas limitative. Dieu lui-même ne sera plus, comme disait Gainsbourg, « un fumeur de havane »…
Cette peur dénote un singulier manque d’humour et de sens du ridicule. Et pourquoi se corseter ainsi dans les peurs ? Ce culte fanatique de la pureté, dans tous les sens du mot (allant de l’hygiène à la morale), est un vrai angélisme exterminateur, ce qu’on pourrait appeler le complexe des écuries d’Augias. [v. Cruauté]
Cela me fait penser aussi à cette moraline ou obsession de la morale, anathématisée par Nietzsche, par laquelle l’homme occidental se paralyse, coupe son élan vital. En réalité, rien n’est pur dans la vie : notre tâche est simplement de faire reculer, autant que nous pouvons, l’impureté, en sachant bien que nous ne pourrons jamais la supprimer totalement. [v. Transparence]
Est modus in rebus, disaient les Anciens : il faut en toutes choses garder mesure. Réfléchissons aussi à l’inconséquence que nous manifestons. Nous condamnons le fumeur comme si son cas était comparable, par exemple, à celui d’un chauffard alcoolisé qui cause un accident mortel. Il y a des gradations élémentaires à respecter, il me semble, dans les anathèmes que nous formulons.
En plus nous fermons les yeux sur les forfaits de tel ou tel requin de la finance. Nous applaudissons même à l’argent-roi qui s’étale avec indécence, dans la vitrine de nos magazines people. Examinons-nous d’abord, avant d’anathématiser l’autre :
« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » (Matthieu, 7/3)
> Article paru dans Golias Hebdo, 30 avril 2009
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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