« La Russie n’a pas envahi l’Ukraine », a déclaré jeudi, lors des pourparlers à Antalya, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Pour justifier ce discours paradoxal, il a déclaré que les troupes russes « étaient » seulement en Ukraine, car « la situation sur place menace directement la sécurité de la Russie. » (Source : 7sur7.be, 10/13/2022)
Il sera difficile de faire comprendre aux Ukrainiens mourant sous les bombes ce point de vocabulaire, et de leur faire admettre que leur pays indépendant n’est pas agressé par une puissance étrangère. À moins effectivement de penser que leur pays n’est qu’une partie de la Russie, auquel cas évidemment il n’y a pas d’invasion au sens propre du mot. On sait que pour Vladimir Poutine la Crimée, le Donbass russophone, et également la ville d’Odessa, sont fondamentalement russes. Un peu comme pour la Chine Taïwan est chinois. À ce moment-là évidemment il n’y a plus d’« envahisseur » : il ne fait que rentrer chez lui, il récupère simplement son bien.
À vrai dire le langage du ministre russe (pas d'invasion, une simple présence) est d’une hypocrisie majeure par rapport à la situation sur le terrain. Ce genre de mensonge est le propre de tous les régimes totalitaires, et il sert leur propagande. Quand le langage se bouille, quand les mots ne veulent plus rien dire d’effectif et de cohérent, alors on peut raboter et manipuler les cerveaux comme on veut.
Dans 1984 Orwell montre que l’emprise de Big Brother sur les citoyens est basée sur la falsification totale du vocabulaire. Ainsi un mot, arraché à son usage normal, en novlangue (nouveau langage inculqué de force aux esprits) peut signifier son contraire. La liberté est esclavage, et l’esclavage est liberté, etc. On ne peut plus penser réellement dans cette situation. Et comme on ne peut plus penser de façon normale, c’est-à-dire avec la caution, la pierre de touche du réel, évidemment on ne peut se révolter. L’idée de révolte ne vient même pas à l’esprit.
« Toutes les occasions de trouble du monde, disait Montaigne, sont grammairiennes. » Camus remarquait de même : « Mal nommer les choses est ajouter du malheur au monde. » Mais déjà Confucius avait noté que la première tâche à faire pour un souverain arrivé au pouvoir était de restaurer le vrai sens des mots : « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté.» Dommage que Sergueï Lavrov n’y ait pas pensé.
***
> Pour voir tous mes livres édités chez BoD, cliquer : ici.
commenter cet article …