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propos de la neige qui a récemment recouvert Marseille, notre Premier ministre a parlé d’un « blocage inacceptable ». Mais comment faire la chasse au responsable ? Faudra-t-il bientôt manifester contre la météo ?
Que l’hiver soit l’hiver, voilà ce qu’on n’accepte pas. J’y vois un signe des temps, où aucune limite à nos désirs n’est admise. Traditionnellement cette limite avait nom : destin. Manifestement c’est un mot qui n’a pas bonne presse.
Nous avons oublié le châtiment infligé à Prométhée, pour cause de révolte contre le pouvoir des dieux : nous voulons défataliser la vie. Ainsi nous nions le refroidissement, non seulement de la neige, mais celui qui est inhérent à la vie entière, son entropie, ce Temps (Chronos) qui selon les anciens Grecs dévorait ses propres enfants : nous ne voulons pas vieillir, comme si l’on pouvait rester éternellement jeune et bronzé ! Telle drogue vendue en pharmacie et vantant le « choc-jeunesse » ou le « choc-beauté » s’appelle Age killer ! Nous nions même la mort, figure destinale par excellence, dans l’acharnement thérapeutique.
À l’autre extrémité, autrefois lorsqu’un enfant naissait, on disait : « Un enfant nous est donné », quand ce n’était pas : « Dieu a béni notre union ». Mais maintenant on parle de « faire un enfant » !
Il y a une grande arrogance dans cet activisme, cette ambition d’enfant gâté. Une grande paranoïa aussi, qui ramène tout à soi. À cela il faut opposer le changement de regard, la metanoïa évangélique par exemple, la conversion qui nous détache du petit moi, et nous fait accepter ce qui arrive : Fiat ! Que cela soit ! « Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ? » (Matthieu 6/27)
Ce Fiat ! est la première demande du Notre Père. C’est aussi la réponse de Marie à l’Ange de l’Annonciation, que les Beatles ont démarquée dans leur morceau célèbre Let it be ! Là est sans doute la plus grande sagesse (wisdom, disent les Beatles). Cette posture d’acceptation et de dépossession de soi, que rend possible la prière religieuse mains ouvertes, est essentielle dans toute démarche spirituelle.
La prise en compte du destin, du non maîtrisable dans nos vies, a paradoxalement une conséquence positive : au lieu de faire de nous ce prétentieux ingrat, image de l’homme moderne, elle peut nous remplir de reconnaissance au moins vis-à-vis du présent que nous vivons, puisque demain n’est jamais sûr. C’est la leçon du Carpe diem d’Horace : « Cueille le jour, fie-toi le moins possible au lendemain. »
Goûtons-le donc comme un cadeau : le présent du présent. Comme dit le logion 91 de l’évangile selon Thomas : « Vous sondez le visage du ciel et de la terre, et vous ne savez pas apprécier le moment présent. » Conscients de sa précarité, nous ne l’en aimerons que mieux.
[v. Acceptation]
Article paru dans Golias Hebdo, 22 janvier 2009
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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