Il y a une trentaine d’années on a annoncé la « Fin de l’Histoire », qui était aussi la « Fin des Idéologies ». Par là on visait l’idéologie communiste, qui effectivement faisait faillite, avec l’écroulement de l’URSS au début des années 1990. Mais la nature a horreur du vide, et à une idéologie a succédé une autre, celle du néolibéralisme et du marché mondialisé.
Et à son tour ce modèle est en train d’être battu en brèche, particulièrement depuis le conflit russo-ukrainien. Ce dernier marque évidemment la fin de la mondialisation, chaque pays devant désormais se préoccuper de sa propre défense et de son indépendance, car la menace de la guerre peut le frapper à n’importe quel moment.
Cette rupture a été le fait de Vladimir Poutine, et de sa nouvelle construction idéologique. Nostalgique de la défunte URSS, et par-delà de l’Empire tsariste et de la Grande Russie éternelle, il se pose en adversaire impérialiste de l’Occident, il ne manque pas une occasion de pousser ses pions où il le peut, notamment en Afrique. Et personne dans son entourage ne peut démentir son récit mythique, lui montrer par exemple que si l’Occident est aussi corrompu et décadent qu’il le dit, il est difficile de comprendre pourquoi beaucoup de pays voisins du sien veulent adhérer à son modèle. Il y a pourtant là de quoi réfléchir. Mais la psychorigidité et la paranoïa du président russe ne le disposent pas à entendre quoi que ce soit.
On peut en dire autant du président chinois. Sous des dehors différents, sous une apparence affable et bonhomme, il est aussi inflexible dans son idéologie. Ses citoyens peuvent bien s’enrichir en privé comme ils le veulent, mais ils doivent jusque dans leur être intime faire corps avec le modèle de pensée et de comportement qu’il a déterminé pour eux, au point qu’il les surveille constamment au moyen de caméras, et leur donne comme à des enfants des bons et mauvais points, qu’ils peuvent gagner ou perdre dans un système de « crédit social ». C’est Big Brother réalisé.
D’où vient le fait de se camper sur des certitudes et ne pas vouloir en démordre ? Peut-être d’une peur de ceux qui ne sont pas du même avis, et par lesquels on redoute d’être supplanté ? On sait assez que qui a peur, fait peur à son tour : comme le plus petit des chiens, donc celui qui se sent le plus démuni, est celui qui aboie le plus fort. Autrement je ne vois pas sur quoi, hors le fait qu’on y trouve un refuge, repose toute idéologie. Car un minimum de réflexion montre que toute réalité n’est pas réductible à un seul cadre explicatif qui l’épuiserait. Il suffit d’un peu de métacognition, c’est-à-dire de recul qu’on prend face à ce qu’on pense, pour s’en persuader. Appelons de nos vœux, contre les idéologues de quelque bord qu’ils soient, les sceptiques. Montaigne avait raison, quand il disait : « Il n’y a que les fols certains et résolus. »
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