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pparemment, chaque croyant peut y aspirer, ou sinon honorer au moins ceux qui y sont parvenus.
Et pourtant ce n’est pas le cas. Je viens d’apprendre qu’en Tunisie les partisans d’un islam rigoureux de type wahhabite ont détruit, au mépris de la culture locale, des mausolées destinés à vénérer les saints. Le slogan mis en avant est la shahada, le credo musulman : « Je témoigne qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et que Mahomet est son messager. »
Autrement dit seul Dieu doit être l’objet d’un culte, et non pas ses « intermédiaires », dont les saints. Pareille position fut au 16e siècle celle de nos protestants, dont la « devise » fut : « À Dieu seul la gloire ! » (Soli Deo gloria !) Et il y a eu de la même façon dans nos églises un iconoclasme protestant : statues brisées, tableaux lacérés, etc.
Je pense d’abord qu’il est toujours dommage de détruire ouvrages et édifices, dont certains peuvent être fort beaux, même au nom de la pureté de la foi.
Certes la pulsion iconoclaste s’est toujours exercée en quelque confession que ce soit, depuis Polyeucte qui brisa les idoles païennes, Mahomet qui fit de même à la Kaaba de La Mecque, jusqu’aux talibans afghans qui ont fait subir un pareil sort aux Bouddhas de Bâmiyân.
Mais cette attitude est dupe d’une illusion, que j’appellerai référentielle : aucun signe humain (image ou mot) n’est ce à quoi il renvoie. Ni l’image d’un chien, ni le mot « chien » n’aboient ni ne mordent. [v. Blasphème, Iconoclasme]
Ensuite, on peut distinguer l’adoration (latrie) réservée à Dieu seul, et la vénération (dulie) qu’on peut bien accorder aux saints, comme il se voit dans les christianismes catholique et orthodoxe. Psychologiquement cela peut être utile. Dans toute échelle on a besoin des barreaux pour monter : que certains aient pu déjà en gravir une partie donne courage aux autres, à ceux qui sont en bas.
Traditionnellement aussi, sauf à ma connaissance en milieu protestant, notre prénom renvoie à un « saint patron », sous l’égide duquel on peut se protéger, dont le nom figure dans le calendrier. Et si on ne l’y trouve pas, on peut se reporter à la fête de Toussaint…
Enfin pourquoi ne pas croire à la réversibilité des mérites et à cette « Communion des Saints », dont la mention figure à la fin du Symbole des Apôtres ? Les qualités exceptionnelles des uns y compensent les faiblesses des autres. Une belle et sensible illustration en a été donnée par Baudelaire dans « Réversibilité », un poème des Fleurs du mal.
Tous ces dispositifs peuvent certes engendrer des abus, qui expliquent parfois leur refus. Mais faut-il toujours jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Article paru dans Golias Hebdo, 7 février 2013
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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