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e viens de lire des extraits de l’exhortation apostolique papale Amoris laetitia (la joie de l’amour), datée du 19 mars 2016.
Ce qui m’a frappé est une formule concernant l’amour conjugal. Il est, selon ce que dit le pape François, « la plus grande des amitiés » (Source : Lepelerin.com, 06/02/2018).
L’expression peut paraître paradoxale, puisque depuis le romantisme au XIXe siècle nous sommes habitués à ce qu’on appelle le « mariage d’amour » (love marriage), c’est-à-dire reposant sur la passion. Mais à la réflexion elle me semble juste. Je laisserai ici le cas du mariage, qui en ce qui me concerne ne me semble pas obligatoire pour connaître le vrai amour, pour m’en tenir à cette notion d’« amitié ».
Elle me semble en effet tout à fait apte à caractériser l’amour mature, profond et fécond, en opposition avec l’amour de type adolescent, passionnel, qui n’est pas l’amour de quelqu’un en particulier, mais l’amour de l’amour lui-même, l’état consistant à être amoureux et à s’y complaire, bien différent de l’intérêt porté à l’autre et de la sollicitude active où mène l’amour véritable. Aimer (vraiment), c’est aider.
On reconnaîtra là la différence entre éros, ou amour de désir, et agapè, ou amour de don. Une grande importance est donnée dans l’exhortation papale à l’échange verbal, au dialogue. En effet, une fois le désir assouvi, que faire ? Beaucoup, hélas ! n’ont rien à se dire alors. Et c’est là qu’intervient l’amitié : un ami est quelqu’un à qui on parle.
Je ferais simplement une petite réserve ici. Les thuriféraires d’agapè, comme Denis de Rougemont dans L’Amour et l’Occident, condamnent totalement éros. Ils oublient cependant qu’en grec moderne agapè cumule les deux notions. Que selon les Pères grecs Dieu a pour les hommes un « amour fou », amour pris au sens de désir (manikos eros), selon l’expression même qu’on retrouve sous la plume d’André Breton. Que les prestiges de la passion continueront toujours à passionner. Que quand on aime vraiment quelqu’un on peut parfois, fugitivement, du fait de l’usure inévitable du temps, regretter de ne plus en être amoureux. Faisons donc en sorte que dans l’amour vrai, l’amour-amitié, restent des traces ou des vestiges de l’amour-passion. Méditons la fin de Philémon et Baucis de La Fontaine :
« L’amitié modéra leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d’amour sut encor se produire. »[1]
Article paru dans Golias Hebdo, 4 octobre 2018
[1] Sur la matière de cette chronique, on peut voir mon ouvrage Savoir aimer – Entre rêve et réalité. - Cliquer sur l'image ci-dessous :
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