Je prends ici ce mot dans son sens étymologique et pascalien : ce qui nous détourne de nous-mêmes. L’incroyable engouement populaire qui a entouré le couronnement de Charles III en est une bonne illustration. Les gens y ont cessé de penser à leurs problèmes, donc à ce qui les concernait personnellement comme par exemple leurs soucis matériels, pour s’étourdir d’un spectacle qui pour un œil extérieur à la chose pouvait relever du carnaval ou du cirque. Dans un tel barnum je ne sais si beaucoup ont pu voir encore du sacré, ou même du religieux, dans l’onction royale. La forme l’emportait sur la signification, ce qui est toujours le fondement du kitsch.
Le plus étrange est que non seulement les journalistes, mais encore les partisans anglais de la monarchie admettaient tout à fait naïvement, ou de façon pragmatique, ce pouvoir générateur d’amnésie dans l’événement. Il faut donner de tels spectacles au peuple, qui lui permettent de rêver et de vivre par procuration, et qui assurent la cohésion générale. En somme, l’éblouissement des gens, même s’il les aveugle, est nécessaire à la permanence du régime. Peu importe au fond qui l’incarne et l’assure. Avec la monarchie héréditaire, on se fie au seul hasard de la naissance pour assurer la stabilité de la nation. Elle n’a pas égard à un quelconque mérite personnel, elle s’incarne dans le premier venu, ici le premier né. Vue ainsi, la chose touche au cynisme.
Voyez ce que dit Figaro au comte Almaviva dans la pièce de Beaumarchais, après lui avoir représenté tous les efforts qu’il a dû faire, lui, pour « subsister seulement » : « Qu’avez-vous donc de plus que moi ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » Mais déjà Molière dans son Dom Juan disait que la valeur d’un homme ne tient pas au nom qu’il porte mais aux actions qu’il fait. L’imposture du privilège héréditaire vient de ce qu’on en jouit sans le mériter. On profite de droits sans voir les devoirs corrélatifs. Et on oublie bien l’ancien adage responsabilisant « Noblesse oblige ».
Finalement, repensant à cet événement, je me dis que la réflexion éclairante doit l’emporter sur l’émotion aliénante, et qu’il faut toujours en revenir à ce qui est chanté à la fin du Mariage de Figaro : « Par le sort de la naissance / L’un est roi, l’autre est berger / Le hasard fit leur distance / L’esprit seul peut tout changer. »
commenter cet article …