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e mistral souffle dans ce ciel bleu. Grand nettoyage et grande lessive. Grâces soient rendues à ce vent bleu, qui fait enfin respirer, chassant les miasmes stagnants du brouillard hivernal. J’y retrouve mon souffle, et par lui ma libération, tel un prisonnier qu’on élargit. Où cela mène, je ne sais, mais cela me porte : « Le Vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du Souffle. » (Jean, 3/8).
Le bruit redouble, les feuilles volent en tous sens, l’eau du canal s’éparpille en embruns, et les arbres crient, martyrisés. Et si ce vent, ce tourmenteur, m’emportait moi aussi ? Bien sûr si sa force augmente, je ne saurai plus où m’agripper. Ma bénédiction de tout à l’heure risquera de tourner court. D’accord pour la vie, mais pour la tempête ? Faut-il toujours remercier le vent ?
Je me souviens du temps où je faisais de la voile. Je maudissais l’absence de vent, bénissais sa venue. Grâce à lui le bateau n’était plus en panne, j’avançais. Mais si d’aventure un trop fort mistral comme celui-ci se levait, alors j’avais peur d’être emporté loin de cette côte méditerranéenne que j’aimais tant, pourquoi pas jusqu’en Algérie ? J’ai pu sourire ensuite de ces craintes. Mais maintenant je vois qu’elles sont fondées. Le vent peut me pousser où je vais me noyer.
Énergumènes, possédés du vent ou de l’esprit, charismatiques, enthousiastes ou « allumés » (alumbrados), combien en ont été déracinés, emportés loin d’eux-mêmes ? Désorbité fut leur sort, barbare leur action, nombreuses leurs victimes. Toujours il y eut des fous spirituels, par manque de contrôle de ce qui les portait. Trop en eux de présence d’esprit le leur fit perdre. « Ainsi risque-t-il d’en être de tout homme qui est né du Souffle. »
Je pense aussi à ces exaltés que la médecine nomme bipolaires, et qui en phase de « manie » ne se contrôlent plus : rien alors n’est impossible pour eux. Jésus lui-même ne le fut-il pas emporté aux Béatitudes, et déprimé à telle autre occasion, dont celle de Gethsémani ?
Aussi vais-je rentrer chez moi, à l’abri, au calme, méditant la leçon. Le Vent, le Souffle, l’Esprit, qui sont une seule et même chose, sont comme la langue d’Ésope : la meilleure et la pire des choses. Il en faut pour vivre, mais point trop pour vivre comme il faut.
Article paru dans Golias Hebdo, 14 janvier 2010
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DESCRIPTION
Extrait de la préface d'André Gounelle : Michel Théron nous offre une agréable et instructive promenade parmi plusieurs notions fondamentales de culture religieuse. Il a choisi pour les deux tomes de cet ouvrage environ 80 mots, rangés en ordre alphabétique, qu'il commente avec la gourmandise d'un fin lettré et une tendresse amusée pour les étrangetés du religieux mais aussi attentive à ses profondeurs... Malicieux, méditatif, réfléchi, bien informé et non conformiste, (...)
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