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lle se fonde sur un mouvement affectif, qui engendre une éclipse, momentanée ou durable, de la rationalité. Les spécialistes parlent ici de biais cognitifs, pour signifier l’emprise sur nous de nos émotions.
Par exemple si nous voyons un cageot d’oranges dont la première rangée est pourrie, la raison devrait nous dire qu’il y a toute probabilité pour que les rangées d’en-dessous soient aussi pourries. Mais si nous disons le contraire, c’est que nous désirons qu’elles ne le soient pas. Certes elles peuvent ne pas l’être, mais il n’est pas rationnel de le conclure. On peut appliquer cet exemple à la croyance en un monde meilleur postulé pour le futur, fréquente en maintes religions à dimension eschatologique.
En vérité, nous allons trop vite dans nos jugements, nous ne prenons pas le temps de réfléchir froidement. De façon paranoïaque, narcissique et égocentrée, nous allons immédiatement vers ce qui alimente nos peurs, ou au contraire ce qui nous fait plaisir. Par exemple, je viens de lire sur un paquet de cigarettes du commerce : « Fumer provoque 9 cancers du poumon sur 10 ». C’est une vérité. Mais la conclusion que nous en tirons est que 9 fumeurs sur 10 attrapent le cancer, ce qui est faux : environ 10% seulement. Notre peur a triomphé de notre raison. – À l’inverse, le slogan du Loto : « 100% des gagnants ont tenté leur chance » nous fait plaisir et nous n’en voyons pas le truisme : nous pensons inconsciemment que tout le monde peut gagner, ce qui évidemment est faux. Là le désir l’a emporté sur la raison. L’esprit a manqué de cette capacité qu’il a de se scruter et mettre en question lui-même, que l’on appelle métacognition.
De même, quand vient de se produire un mortel accident d’avion, l’émotion fait que nous avons peur de prendre l’avion, alors que nous devrions savoir que l’avion est bien moins accidentogène que l’automobile. Là encore nous ne sommes pas rationnels.
Notre cerveau aussi fabule constamment, c’est une machine à créer du storytelling. Ainsi nous cherchons du sens partout. Nous n’admettons pas le hasard, les coïncidences : nous voyons partout des causalités et des finalités, nous croyons facilement aux « vérités alternatives » ou aux fausses nouvelles (fake news) [v. Complotisme]
Ceux qui veulent asservir et manipuler les esprits s’engouffrent dans cette propension que nous avons à juger sans réfléchir. La fabrique du consentement par exemple, pour reprendre le terme de Chomsky emprunté au publicitaire Bernays, s’inspire pour influencer nos opinions et comportements des techniques du commerce, du neuromarketing. C’est la méthode du nudge, ou « coup de coude » en anglais, dont relèvent les deux slogans que j’ai cités précédemment.
Qu’en conclure ? L’important est d’avoir conscience de ce phénomène, et quand nous croyons, de savoir que c’est le cœur qui parle en nous, et non la raison.
Article paru dans Golias Hebdo, 10 janvier 2019
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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