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lle peut aller avec la plus grande logique. « Le fou, disait Chesterton, est celui qui a tout perdu, sauf la raison ». Il raisonne très bien en effet, mais à partir de bases ou de principes en eux-mêmes absurdes et parfois très dangereux.
C’est à quoi j’ai pensé en apprenant que les États-Unis ont mis leur veto, au Conseil de sécurité de l’ONU, à une résolution visant à condamner le viol utilisé comme arme de guerre. La raison ? Admettre cette résolution est admettre aussi qu’il faut venir en aide aux victimes de ces crimes, et leur donner, par exemple, la possibilité d’avorter. Or le président états-unien actuel est radicalement contre l’avortement (Source : LeMonde.fr, 23/04/2019).
Par là il a été tout à fait logique dans son veto, eu égard à ses principes religieux. Mais il a été stupide, et aussi en l’espèce criminel, de les professer.
Car que penser de la vie future d’un enfant issu d’un viol ? Comment sa mère l’aimera-t-elle ? Et même à la base, que dire de la sacralisation inconditionnelle de la vie ? Sans parler de l’importance de sa qualité, on peut remarquer que sa prolifération même peut être dangereuse, au point parfois de mener à la mort. C’est le cas des cellules tumorales, par exemple, qui se multiplient de façon non régulée, et ne peuvent accomplir leur suicide normalement programmé, leur apoptose.
En vérité, en cette matière comme en bien d’autres, les grands principes doivent être laissés de côté. Lao-Tseu écrit au début de son Tao-te-King : « La Voie vraiment voie n’est pas une voie constante. Les termes vraiment termes ne sont pas des termes constants. »
Chez nous, la grande intelligence des Jésuites est d’avoir compris que les grandes questions vitales sont affaire de contexte, qui est toujours changeant : c’est cette fameuse casuistique, que Pascal dans ses Provinciales a critiquée avec talent, mais sans profondeur.
Il n’y a pas, en matière morale, d’« impératif catégorique » pour reprendre l’expression kantienne. Rien n’y est absolu, ou applicable sans condition, tout n’y est que casuel ou hypothétique. Sinon, on se coupe du réel. Péguy l’a bien souligné : « Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »
Sans doute le président états-unien ne comprendrait-il pas grand-chose à ces considérations. Il est prisonnier d’une vision religieuse normative et figée, propre d’un esprit psychorigide. Il doit tenir compte aussi de son électorat, qui partage cette vision. Il reste malgré tout que sa folle décision est objectivement monstrueuse.
Article paru dans Golias Hebdo, 16 mai 2019
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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