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ris comme adjectif, ce mot est souvent péjoratif, et désigne comme dit Le Robert une « personne qui recourt à des astuces hypocrites ».
Pourtant il convient de le réexaminer, d’autant que l’actuel pape François est le premier jésuite à avoir été élu au pontificat.
Le sens péjoratif a été initié par Pascal dans ses Provinciales, lorsqu’il critique les abus de la casuistique des moralistes jésuites. Selon ces derniers, tous les problèmes qui se présentent dans la vie sont affaire de cas, c’est-à-dire qu’ils relèvent chacun d’une analyse particulière, et en pareille matière les grands principes doivent être modulés.
Par exemple on condamne le duel. Mais celui qui veut le pratiquer n’a qu’à dire à son adversaire de l’attaquer en premier, en suite de quoi il n’aura lui-même qu’à répondre, et ainsi il pourra se battre, étant en état de légitime défense. Pascal trouve ce type de biais inadmissible, car pour lui les principes sont intangibles et il ne faut pas ruser avec eux.
L’ironie pascalienne est tellement fine et au fond efficace qu’on se range facilement de son côté, et c’est à quoi d’ailleurs invitent les manuels de littérature, en entérinant cette dévalorisation de l’esprit jésuite, qui perdure ensuite chez des générations de professeurs et d’élèves.
Pourtant un peu de réflexion montre que Pascal n’a pas raison. Il y a chez lui une grande psychorigidité. La vie est tellement complexe et changeante qu’aucun grand principe ne peut l’épuiser. Comme dit Lao-Tseu au début de son Tao-te-King : « La Voie vraiment voie n’est pas une voie constante. Les termes vraiment termes ne sont pas des termes constants. » Tel choix valable pour tel instant ne le sera plus l’instant d’après, et tout n’est qu’affaire de cas ou de circonstances. [v. Folie]
Dans Les Deux Sources de la morale et de la religion, Bergson oppose la « pensée close », figée sur des certitudes, et la « pensée ouverte », perméable au doute, qui seule dans l’histoire fait progresser la conscience morale.
S’agissant du pape François, on veut espérer qu’il défend la seconde contre la première. Des gages en ont déjà été donnés, lorsqu’il a condamné radicalement la peine de mort, contre ce qu’affirmait précédemment le Catéchisme de l’Église catholique.
On aimerait qu’il fasse preuve de la même ouverture face à la très complexe et douloureuse question de l’avortement, qui elle aussi doit être éminemment circonstanciée : malheureusement ce n’est pas encore le cas. Attendons !
Article paru dans Golias Hebdo, 10 octobre 2019
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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