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l vient d’être réhabilité par le pape François, dans un livre d’entretiens publié le 9 septembre dernier. Très utile à l’homme, il est même qualifié de « simplement divin » : « Le plaisir de manger sert à vous maintenir en bonne santé en mangeant, tout comme le plaisir sexuel est fait pour rendre plus beau l’amour et garantir la perpétuation de l’espèce. » (Source : huffingtonpost.fr, 10/09/2020)
Il est très heureux que gourmandise et plaisir sexuel ne soient plus anathématisés comme autrefois en tant que péchés capitaux, et que le pape s’éloigne ainsi de ce qu’il appelle la « bigoterie ».
Cependant il ne faut pas ici exagérer la portée de la position. D’une part l’Église a depuis longtemps condamné les Encratites, ou Continents. Et de l’autre les deux plaisirs dont parle le pape ne sont pas à valoriser en tant que tels, mais en ce qu’ils sont subordonnés à une fin bien précise : la « bonne santé » pour le plaisir de manger, et la « perpétuation de l’espèce » pour le plaisir sexuel.
« Boire sans soif et faire l’amour en toute saison est la seule chose qui nous distingue des bêtes. » Cette phrase de Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro arrache pourtant l’être humain au déterminisme naturel, et définalise les deux pulsions. Tout ce qui vit en effet sur la terre n’a que deux buts : se nourrir et se reproduire. Mais de cette aveugle injonction naturelle les hommes sont capables de se détacher. S’agissant de la sexualité, ils ont disjoint la fonction de reproduction de ce qu’on peut appeler la fonction érotique, et qui est bel et bien une fonction autonome. Elle relève même de l’art, si ce dernier, définalisé par essence, est « l’homme ajouté à la nature » (ars homo additus naturae).
Évidemment le pape ne peut entrer dans ces considérations, puisqu’il subordonne le plaisir sexuel à la reproduction. En quoi il élimine tous ceux qui ne peuvent ni ne veulent se reproduire, comme les homosexuels, ou les hétérosexuels même qui ont passé l’âge de le faire, et pour qui le plaisir peut bien rester un but dans l’existence.
En quoi aussi il se situe dans le droit fil de la tradition juive, où la perpétuation de l’espèce est la plus grande des injonctions (l’acte sexuel est la seule pratique à ne pas être défendue le jour du sabbat, et il est même obligatoire ce jour-là selon le Zohar). Et quand une femme mariée n’a pas d’enfant on peut la répudier au bout de dix ans, comme il se voit dans le film Kadosh, d’Amos Gitaï. On ne se demande même pas si cette infertilité est le fait de l’homme, ce qui pourrait se vérifier par un spermogramme. En effet le sperme de l’homme ne doit pas être émis sans but, car il porte la vie : le cas d’Onan dans la Bible en est l’illustration.
Enfin, il faut remarquer que toutes ces injonctions natalistes, juives ou papales, contreviennent manifestement aujourd’hui aux nécessités écologiques, dans une planète surpeuplée.
Article paru dans Golias Hebdo, 24 septembre 2020
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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