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n jeune américain de 27 ans a été tué à coup de flèches, dès son arrivée sur leur territoire, par les indigènes habitant l’île de North Sentinel, dans un archipel de l’océan Indien rattaché à l’Inde.
Très croyant, ce jeune homme se pensait en terre de mission. Dans une ultime lettre adressée à sa famille, rédigée le matin de sa mort, il confiait : « Vous pensez peut-être que je suis fou de faire tout ça mais je pense que ça vaut la peine d’apporter Jésus à ces gens... Ce n’est pas en vain – les vies éternelles de cette tribu sont à portée de main et j’ai hâte de les voir adorer Dieu dans leur propre langage. » (Source : LeMonde.fr, 21/11/2018)
Ce prosélytisme en effet est bien comme il le disait une folie. Il peut malheureusement s’autoriser de la fin de l’évangile de Matthieu : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. » (28/19-20)
Il y a peu de chances que ce passage soit de la bouche de Jésus lui-même, le dogme trinitaire qu’il contient et auquel il se réfère ayant été édicté plus tard. Mais passage funeste en tout cas, au nom duquel beaucoup de vies furent sacrifiées dans l’histoire, non seulement celles des évangélisés, mais comme ce vient d’être le cas pour notre pauvre jeune homme, des évangélisateurs.
Il était sans nul doute illuminé, et naïf de croire que la peuplade en question n’avait aucune vie spirituelle, aucun contact avec le divin. Ce sont de fervents animistes, manifestement en tout cas plus imprégnés de spiritualité dans leur vie quotidienne et le moindre de leurs gestes que la plupart des croyants « civilisés ». Qu’ils trouvent Dieu dans la Nature, pourquoi le leur reprocher ? C’est bien ce qu’a dit Spinoza chez nous.
En attendant, l’intrusion de ce corps étranger, même mort, chez eux risque de leur apporter des agents infectieux mortels contre lesquels, vivant en autarcie de temps immémorial, ils n’ont pas d’immunité, au point que selon une ONG de protection des tribus autochtones (Survival International) tout leur groupe risque maintenant de périr.
Finalement, au lieu de leur apporter Dieu, le jeune homme peut leur avoir apporté la mort, comme celle dont il a été victime. Funeste dessein, et funeste destin !
Article paru dans Golias Hebdo, 6 décembre 2018
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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