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n fragment de bois, d’environ un centimètre de large sur 2,5 centimètres de long, issu de la mangeoire dans laquelle fut déposé Jésus à sa naissance, a regagné Bethléem où les fidèles pourront le vénérer. C’est un don du pape François, l’ensemble du « berceau » restant à Rome, car trop fragile pour être transporté (Source : vaticannews.va, 29/11/2019).
Cette mention du berceau de Jésus appartient, comme bien d’autres détails du même genre, à l’habituel storytelling évangélique, qui a recouvert le message initial, la Bonne Nouvelle ou l’Évangile du Christ (Evangelium Christi), par l’Évangile au sujet du Christ (Evangelium de Christo). Les fidèles en effet sont friands de détails narratifs qui leur permettent de rêver et de se projeter par empathie (l’Einfühlung des Allemands) sur des scènes concrètes. On trouvera la source textuelle unique du berceau-mangeoire de Jésus en Luc 2/7.
Je n’insiste pas sur la « vérité » de cette relique, en tous points comparable à celles que Calvin a critiquées dans son Traité des reliques. Au fond, et en un sens, comme le pensent les symbolo-fidéistes, est vrai ce à quoi l’on croit...
Mais il me semble qu’en toute rigueur théologique on devrait bien distinguer la naissance de Jésus, dont parle le Symbole des Apôtres, et l’Incarnation de Dieu dans la personne du Christ, dont parle le Symbole de Nicée. Ce sont deux scénarios très différents, comme le sont d’ailleurs ces deux Credos eux-mêmes.[1]
Si on valorise la « naissance », on choisit la proximité humaine du message, et on peut figurer alors l’Enfant-Jésus, le Jesu Bambino des Italiens, bébé tout nu qui se tortille dans tous les sens dans leurs tableaux et ceux qui s’en inspirent. Mais l’Incarnation de Dieu implique une tout autre prudence : le Logos incarné n’a rien à voir avec un bébé Cadum. L’icône orthodoxe ne le figure jamais ainsi, en le montrant toujours vêtu.
Remarquez qu’à l’arrivée c’est l’inverse qui se produit : chez nous, on voit le cadavre repoussant de Jésus mort, et en Orient chrétien son corps glorieux (par précaution, le Symbole de Nicée ne nomme pas sa mort). Comme si partir de l’humain obligeait à aller des chairs roses du bébé à la putréfaction du cadavre. Pour ce dernier, pensez par exemple au Christ mort d’Holbein, tableau qui par son réalisme repoussant ferait perdre la foi à n’importe qui, comme le dit Dostoïevski dans L’Idiot. C’est là une réaction typique du monde orthodoxe.
Du berceau, on va à la tombe, c’est la loi de l’existence. Mais l’autre scénario sus évoqué, l’Incarnation du Logos valorisant chez le croyant l’écoute attentive d’une Parole, est tout autre, anticipe l’éternité, et permet de passer de la mort à la vie (Jean 5/24).
Article paru dans Golias Hebdo, 19 décembre 2019
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