I |
l faut bien la distinguer de l’immoralité, qui suppose que soient connues normes et valeurs pour être transgressées. L’amoralité, elle, en est une parfaite ignorance.
Je suppose que s’est trouvé dans ce cas ce couple chinois qui a vendu sur Internet sa fillette pour s’acheter un IPhone, de coûteuses chaussures de sport ainsi que d’autres articles (Source : A.F.P., 18/10/2013).
De ce point de vue, les œuvres d’art, dont au premier chef le cinéma, préfigurent très souvent ce qui se passe et se vérifie après leur parution. Elles sont à la fois miroir de la vie contemporaine, et prémonitoires de ce qui peut arriver.
Ainsi la vente d’un enfant faisait le sujet du film des frères Dardenne, L’Enfant (2005) : le jeune père n’y avait pas l’air très affecté, et de comprendre même la réalité de ce qu’il faisait en vendant son enfant. À sa compagne il allait jusqu’à dire qu’elle pourrait en avoir un autre !
À propos de cette inconscience, je pense aussi à L’Appât, de Bertrand Tavernier (1995), où la jeune fille à la fin, après l’affreux assassinat dont elle a été complice, demande aux policiers si elle pourra être rentrée chez elle pour Noël !
Ou enfin à Benny’s Video, de Michaël Haneke (1993), où le jeune homme, rendu parfaitement insensible par l’omniprésence des écrans devant lesquels il passe son temps, en vient, à force de confondre le virtuel et le réel, à commettre un meurtre, et à la fin à dénoncer à la police ses parents qui pour lui venir en aide ont voulu dissimuler son forfait. Tant est grand le risque de déréalisation qu’il y a dans le monde omniprésent des images !
Le vertige nous prend, et une sorte de sidération, à voir ces sortes d’œuvres, et surtout à constater ensuite que la réalité peut parfaitement les vérifier. On peut faire effectivement argent de tout, d’une vie humaine ou d’une propriété intime.
Je ne sais si c’est l’ambiance générale qui y pousse, ou l’absence absolue dans certains cas d’éducation, de transmission de valeurs pourtant élémentaires. En tout cas il y a dans de tels cas une totale régression à l’état de nature, qui, elle, est parfaitement amorale, ignorant toutes normes et valeurs.
Raison de plus pour bien écouter les artistes qui tels des médiums captent l’air du temps et la direction catastrophique où peut s’engager une société. Ce ne sont pas des amuseurs, et il faut les prendre au sérieux.
Article paru dans Golias Hebdo, 28 novembre 2013
*
Retrouvez d'autres textes insolites comme celui-là dans le livre suivant
(cliquer sur l'image ci-dessous) :
commenter cet article …