J’ai récemment rendu visite à une personne âgée, dans la maison de retraite où elle est installée. À cette occasion j’ai rencontré l’animatrice, qui m’a fièrement vanté toutes les « animations » qu’elle proposait aux pensionnaires. Je l’ai même vue à l’œuvre, et quasiment arracher de son fauteuil tel ou tel résident, pour l’inviter à se joindre à un groupe pour parler ensemble, chanter en chœur, etc. À l’appui de ses exploits, elle m’a même montré des photos montrant les résidents déguisés lors du dernier carnaval : dérisoire et pathétique mascarade ! Leur avait-elle même demandé leur avis pour les costumer ainsi ?
Cet acharnement à l’animation à tout prix m’a paru de mauvais augure, et constituer une intrusion très contestable dans l’intimité de chacun. Pourquoi vouloir à tout prix socialiser les gens ainsi ? Si cela peut convenir à certains, d’autres peuvent préférer la solitude, la contemplation muette des choses et des êtres, comme je l’ai constaté ce jour-là en observant d’autres pensionnaires. Assis sur un banc, et regardant autour d’eux, ils ne semblaient pas malheureux, loin de là. Là étaient assurément leurs habitudes et leurs goûts quotidiens. Ils s’en contentaient : pourquoi les en priver ?
Lors de la même visite, j’ai pu voir qu’il y a différentes sortes de maltraitance, dont la verbale n’est pas la moindre. Ainsi certains membres du personnel s’adressaient avec une inadmissible familiarité aux personnes dont ils avaient la charge, et qui s’en trouvaient totalement infantilisées. C’est dégrader quelqu’un de ne pas lui parler comme à un adulte normal. On lui enlève sa dignité d’être humain. En plus, comme il ne peut pas se défendre, à cette vraie violence on ajoute la lâcheté.
Revenant chez moi, méditant sur l’« animation », je me suis demandé pourquoi les gens en ont toujours besoin. Je pense à ces touristes qui, sitôt arrivés dans leur lieu de vacances, s’occupent de savoir s’il y a des « animations ». Comme s’ils ne pouvaient pas s’animer eux-mêmes ! J’ai pensé à ces enfants qu’on suroccupe maintenant en les surchargeant d’« animations », en sorte qu’ils ne peuvent plus se faire face à eux-mêmes dans cette solitude qui devrait être pourtant un refuge. Détournés d’eux-mêmes, ils sont désorientés quand rien n’est là pour les étourdir. Plus tard, il n’y a aucune raison pour qu’ils changent. Et donc les enfants aujourd’hui sont en grand nombre !
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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