L’usage s’est répandu depuis plusieurs années déjà, pour les amoureux, de fixer sur le parapet des ponts, pour symboliser le lien qui les unit, des cadenas dont une fois fermés ils jettent la clé dans le fleuve. Innocente au début, cette pratique devient de plus en plus dangereuse, vu le poids que tous ces cadenas accumulés fait peser sur leur support. Ainsi, à Paris, un pan de grillage du célèbre Pont des Arts s’est effondré en juin dernier sous le poids de milliers de ces « cadenas d’amour », entraînant l’évacuation de cette passerelle pour piétons qui enjambe la Seine, reliant l’Institut et le Louvre. La question devient si préoccupante que la Mairie de Paris vient de lancer une campagne de communication pour inciter les couples d’amoureux à remplacer les cadenas fixés sur les ponts parisiens par des selfies à publier sur Internet. Ces autoportraits photographiques réalisés par téléphone portable peuvent être publiés sur un site internet dédié (lovewithoutlocks.paris.fr) ou sur Twitter avec le hashtag #lovewithoutlocks – l’amour sans cadenas (Source : AFP, 11/08/2014).
À l’évidence on aurait pu, aux cadenas, préférer l’ancienne formule, qui consistait à tracer un cœur percé d’une flèche, assorti des prénoms des amoureux : cela pesait moins sur le support, et évitait les désagréments pondéraux actuellement constatés. En outre, ce symbole exprimait bien, et uniquement, l’émotion des débuts, par exemple du coup de foudre initiant la relation. Jamais on ne sait ce qui les suivra, car le Temps, tel Chronos, dévore ses propres enfants, et les plus beaux sentiments peuvent se faner, puis se détruire. Tandis que la symbolique du cadenas est autre, puisqu’elle contient l’idée d’un amour éternel, idée qui est a priori illusoire.
Elle suggère aussi que l’amour est un emprisonnement, un enchaînement selon l’étymologie même de ce mot. Pensons à ces « chaînes conjugales », dont Mankiewicz a fait le titre d’un de ses films. Combien, une fois enfermés dans une cage de se type, veulent ensuite en sortir !
En fait, l’amour ne se donne pas d’emblée tout fait, comme un lieu où l’on se trouve définitivement, mais se construit avec volonté au fil du temps, comme une destination qu’on se propose d’atteindre : on n’engage pas une relation avec quelqu’un parce qu’on l’aime, mais pour l’aimer. Voyez là-dessus mon article Mariage, dans le n°130 de Golias Hebdo, repris dans ma Petite philosophie de l’actualité. Et aussi mon ouvrage Méandres de l’amour (Dervy, 2014). Finalement le cadenas n’est pas seulement dangereux pour la voirie : il n’est pas aussi une bonne idée pour symboliser l’amour.
Photo D.R.
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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