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n l’oppose souvent à la réalité. Mais je ne suis pas sûr qu’on ait raison de le faire, car il y a des cas où la fiction informe, modèle la réalité, jusqu’à la devenir elle-même.
On sait qu’il y a des fidèles de Sherlock Holmes, de Tintin, etc. Ils rendent un culte à leur idole, dont ils connaissent tous les comportements et habitudes, et à l’existence réelle de laquelle ils finissent par croire vraiment.
C’est à quoi j’ai pensé en apprenant la décision de la municipalité de Montauban de baptiser un rond-point du nom des Tontons flingueurs, par allusion au film célèbre de Georges Lautner. La phrase prononcée dans le film par Lino Ventura : « On ne devrait jamais quitter Montauban ! » hante les mémoires de tous ceux qui rendent eux aussi un culte à ce film et à ses personnages. On dit que la maire de Montauban avait voulu donner au fameux giratoire le nom de Nelson Mandela, mais que finalement elle s’est ravisée, et envisage même à présent de frapper les panneaux de sortie de ville de l’impérissable réplique (Source : A.F.P., 06/02/2014)
Il y a aussi à Montauban un bar dénommé « Lulu la Nantaise », personnage dont il est question avec nostalgie dans ce film, lors de la fameuse scène de la « biture » dans la cuisine. Tout cela forme un ensemble fictionnel, mais qui risque de ressembler fort, à l’arrivée, à du réel. Je gage que dans quelques années les nouvelles générations verront dans tout cela la commémoration de faits et personnes ayant véritablement existé.
Mais il ne faut absolument pas s’en formaliser. Qu’une fiction devienne réelle, par la magie de l’art ou d’une représentation quelconque ayant eu du succès, arrive très souvent. On connaît la phrase d’Oscar Wilde : « La nature imite l’art. » Et aussi celle de Cocteau : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité. » Pensons aussi au « Mentir-vrai », par quoi Aragon définissait littérature et poésie. La fiction peut entièrement créer le réel.
Avec le temps, l’auteur même en disparaît. Que nous ne sachions rien de la vie d’Homère, ni même s’il a existé, ne change rien à la beauté marine de l’Odyssée. Et de Jésus lui-même, nous ne connaissons, à part quelques paroles considérées même par certains comme hypothétiques, que le storytelling opéré à son sujet par les évangiles. À la limite même, qu’il ait existé ou non, importe peu : nous en restent des voix. Inventées ou non, elles nous font vibrer encore, et assurément cela n’est pas rien.
Article paru dans Golias Hebdo, 20 février 2014
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