On invoque souvent pour interdire tel ou tel produit ou telle ou telle option le « principe de précaution », car on ne sait pas où peut conduire à terme tout choix technique ou économique que l’on peut faire. Ce principe a même été introduit dans notre Constitution en 2005. En théorie, cette prudence devant l’inconnu semble justifiée.
Mais en théorie seulement. Car on commence à s’apercevoir que ce « principe de précaution » peut conduire à un « principe d’inaction ». On peut en effet se paralyser quant à faire quoi que ce soit, par peur de faire mal. Déjà les Latins disaient que la pire corruption est celle du meilleur : Corruptio optimi pessima.
Deux exemples seulement, parmi bien d’autres, qui montrent que l’application du PP peut aussi se révéler la source de nouveaux risques : 1/ On envisage aujourd’hui de réduire la puissance des antennes-relais. Or cela obligera les opérateurs à multiplier leur nombre pour compenser la réduction des zones de couverture, et donc une telle mesure augmentera l’exposition de 90% des Français. 2/ Au nom du PP et de la lutte contre le réchauffement climatique, on promeut les biocarburants. Ils causent pourtant des distorsions économiques (gaspillages dans l’utilisation des sols, de l’énergie, de l’eau, en termes de pesticides et fertilisants, etc.), contribuent de surcroît à la flambée des prix agricoles et augmentent les risques de crises alimentaires. Même leur impact carbone – pourtant leur principale justification officielle – serait négatif. Ils pourraient causer, selon les estimations, jusqu’à un doublement des émissions de CO2 sur une période de 30 ans. (Source : Le Figaro, 10/02/2014).
On connaît la notion d’« effet pervers » ou d’« effet boomerang » généré par toute action, base de mainte tragédie, que le philosophe Karl Jaspers a ainsi défini : toute action peut engendrer pour son auteur des conséquences dont au départ il ne s’était pas douté. C’est le cas de notre principe, et s’il s’est établi lui-même sur cette notion d’effet pervers potentiel de nos moindres actions, il finit par y exposer lui aussi en bout de course. La leçon est que lorsqu’on agit le choix n’est pas entre un bien et un mal absolus, mais entre des options également problématiques. Il faut mesurer le rapport entre bénéfice et risque, et finalement, sauf à ne rien faire du tout, opter pour un moindre mal.
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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