Souci
Je suis très attentif aux tics langagiers qui se répandent partout. Ainsi en est-il de l’expression « Pas de souci ! », que l’on entend maintenant à tout bout de champ, et qui supplante l’ancienne formule : « Pas de problème ! ». Je m’interroge donc sur le sens de cette substitution, sur ce qu’elle peut vouloir dire quant à l’état actuel de nos mœurs, dont le langage est un miroir.
Logiquement le problème vient avant le souci, et le cause. Dire donc « souci » à la place de « problème » est dire l’effet pour dire la cause. C’est une variante de ce qu’on appelle une métonymie (en grec : changement de nom) : on remplace une notion par une autre avec laquelle elle a un rapport de liaison, de contiguïté logiques. Ici la liaison est de causalité, le résultat (le souci) remplaçant le processus qui l’amène (le problème). Comme il y a plusieurs types de métonymies, et si on voulait être plus précis, on pourrait parler ici de métalepse (en grec : transposition), variante de métonymie consistant à dire précisément l’état final où l’on se trouve au lieu du facteur qui l’a déclenché. Ainsi on peut dire : « Nous le pleurons », au lieu de dire : « Il est mort ». – Sur le sens de ces figures je renvoie le lecteur à mon livre électronique Cours de stylistique en 99 leçons (Le Publieur, 2014).
La métalepse décrit un état émotionnel, et donc est très utilisée dans le discours littéraire, qui s’adresse principalement à la sensibilité. Giraudoux par exemple en était très friand. On voit bien que « Nous le pleurons » est sensible, tandis que « Il est mort » est conceptuel, notionnel, et donc touche moins. Mais en même temps aussi « Nous le pleurons » est euphémisant, évite de nommer directement ce qui cause les pleurs, et qu’il serait choquant de dire.
Eh bien ! il me semble qu’il en est de même pour notre « Pas de souci ! ». On s’adresse à la seule sensibilité, et on gomme le négatif de l’existence, qui pourtant est bien faite de « problèmes » ! Ces derniers, on ne veut pas les voir, ou y penser. C’est un trait des mœurs d’aujourd’hui. On cherche à être rassuré, consolé, et à éviter d’évoquer ce qui fâche. En quoi il y a mensonge. Évitement : et vite ment… Aussi faut-il me semble-t-il rappeler à nos contemporains que derrière le souci il y a un problème, que souvent il faut prendre à bras le corps, yeux ouverts, pour le résoudre !
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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