On parle beaucoup de la récente victoire de l’ordinateur développé par Google, AlphaGo, sur le champion du monde sud-coréen du jeu de go. On se demande maintenant jusqu’où ira l’intelligence artificielle, et si elle ne va pas finir par détrôner l’intelligence humaine.
Je ferai remarquer d’abord que ces machines et les programmes qui les animent ont été créés par l’homme, ce qui est déjà une preuve de sa propre intelligence. Ensuite, et plus profondément, il faut dire qu’il y a plusieurs formes d’intelligence. Certes, pour la puissance de calcul et le traitement des données emmagasinées dans une mémoire, aucun cerveau humain ne peut rivaliser avec un ordinateur. Les formidables groupements de données (les Big Data), lui seul peut les traiter correctement, les classer, en tirer des prévisions, etc.
Mais il ne le pourra que selon le protocole qu’on lui aura indiqué. Or celui-ci obéira forcément à une logique rigide basée sur les mathématiques. Leur caractéristique est que chaque mot, même s’il est défini arbitrairement au départ, n’a qu’un seul sens.
Or cela n’a rien à voir avec le langage proprement humain, dont la sémantique est floue et ouverte, polysémique : les mots y changent de sens à chaque instant (sens propre, sens figuré, etc.), leur valeur peut y miroiter à chaque répétition ou occurrence (antanaclase), leur couleur affective aussi suivant le contexte d’énonciation (ironie, antiphrase, etc.), et le sens même peut tenir à leur absence (réticence, litote, etc.) Pour percevoir cela, c’est un autre type d’intelligence qui est sollicité, dont aucun ordinateur, si perfectionné soit-il, n’est capable.
C’est pourquoi, pour un texte complexe, aucun logiciel de comptage lexicométrique ne rendra compte de son sens, pas plus qu’un programme automatisé ne pourra le traduire dans une autre langue, si puissants que soient les algorithmes utilisés.
On a tort, et cela se voit à l’école elle-même, de vouloir unir, sous le même vocable de QI, l’intelligence hypothético-déductive, et l’intelligence verbale et émotionnelle. Or ce sont deux phénomènes bien séparés. Laissons donc à l’ordinateur la première, et gardons précieusement la seconde, dans laquelle nous ne serons jamais détrônés.
Article paru dans Golias Hebdo, 31 mars 2016
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