Elle dispense aujourd’hui de tout le reste. Je pense aux œuvres de l’ « artiste » John Hamon, qui consistent simplement en projections lumineuses de son nom sur divers monuments célèbres, comme la Tour Eiffel ou la Pyramide du Louvre, ou bien en collages de son portrait sur des affiches d’expositions de prestige, telle celle consacrée actuellement à Léonard de Vinci. Ainsi sur son profil Instagram on peut voir ce portrait se superposer, par la magie du numérique, sur celui de la Joconde : Mona Lisa y devient « Hamonalisa » (Source : actu.fr/ile-de-france/paris, 27/10/2019).
Son slogan est : « C’est la promotion qui fait l’artiste, ou le degré zéro de l’art ». On pense à la formule de Warhol, selon lequel dans notre monde moderne chacun peut avoir son « quart d’heure de célébrité ». À voir le buzz que peuvent faire les médias ou Internet à propos de quiconque, on ne peut que lui donner raison. Le narcissisme de chacun est sans limite, et comme Érostrate qui ne supporta pas d'être inconnu personne ne se satisfait de son anonymat.
Apparemment n’importe quoi maintenant peut faire œuvre, pourvu qu’on lui prête attention et crédit. Déjà Marcel Duchamp a montré que le moindre objet (un urinoir, un égouttoir à bouteilles, un quelconque ready made) peut acquérir le statut d’objet d’art, pour peu qu’il soit exposé dans le contexte valorisant d’un musée. Il bénéficie arbitrairement d’un potentiel de confiance, d’une fiducia essentielle procurée par le lieu lui-même. Mais ici il n’y a même pas d’objet, il n’y a qu’un nom, qui suffit. Il y avait autrefois des œuvres sans auteur, il y a maintenant des auteurs sans œuvre.
Avant John Hamon, Banksy, célébrité mondiale du street art, a voulu, en détruisant une de ses œuvres qui venait d’être adjugée à un prix pharaonique, montrer que le monde entier de l’art n’était qu’un marché, une bulle spéculative déconnectée de toute réalité : la preuve en fut d’ailleurs que ce geste iconoclaste fit encore monter sa cote (voir mon billet Art (suite 2) - Golias Hebdo, n°496).
La même œuvre aujourd’hui peut n’être rien si elle n’est pas signée, et tout si elle l’est. C’est sur le nom, et non sur un quelconque réel de l’œuvre, que se font les spéculations et les bulles financières. Comment s’étonner ensuite que l’œuvre ne soit plus qu’une signature, le simple nom de l’auteur ou son portrait ? Voilà où l’on aboutit, quand le savoir-faire est remplacé par le faire-savoir.

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